C'est une interview de près de 20 pages qu'a accordée Emmanuel Macron au magazine Le Point qui publie dans son édition du 31 août ce premier grand entretien présidentiel. Au menu : terrorisme, politique étrangère et intérieure, défense et opinion publique.
Sur le plan international
Emmanuel Macron s'est avant tout penché sur les questions cruciales de politique étrangère, notamment en matière de terrorisme islamiste et de son financement par des puissances étrangères. Il appelle par ailleurs à un vrai dialogue avec la Russie sur les conflits ukrainien et syrien.
«L'Arabie saoudite et le Qatar financent le terrorisme»
Sur le terrorisme, le chef de l'Etat assure que sa position «n'a pas varié». Il semble néanmoins faire une distinction claire entre terrorisme et islam. Et de s'expliquer : «D'un côté, dire que le terrorisme que l'on connaît aujourd'hui n'a rien à voir avec un islamisme politique est faux. Mais, de l'autre, dire que c'est un terrorisme "islamique", comme le proclament certains responsables politiques, est une erreur. En effet, cela revient à impliquer les plus de quatre millions de Français qui sont de confession musulmane : je ne veux pas laisser dire qu'ils ont quelque chose à voir avec le terrorisme. Mais ce terrorisme est islamiste, car il a évidemment un lien avec l'islamisme radical. Je me refuse absolument, contrairement à ce que les hommes politiques ont pris l'habitude de faire, à porter un jugement sur une religion particulière, et donc sur ses fidèles, que ce soit pour la condamner ou pour l'absoudre dans son essence supposée.»
Au niveau international, il reconnaît que l'Arabie saoudite et le Qatar ont financé le terrorisme, mais appelle toutefois à maintenir des relations diplomatiques prudentes avec ces pays. «J'ai établi des relations d'une extrême franchise avec l'ensemble des puissances du Golfe. Dans mon dialogue avec les Emiriens, les Saoudiens et les Qatariens, j'aborde la question du financement du terrorisme. Le Qatar et l'Arabie saoudite ont financé des groupements qui n'étaient pas les mêmes, mais qui ont de fait contribué au terrorisme. La priorité de notre politique internationale doit être notre sécurité. Nous ne pouvons pas avoir une politique commerciale ou diplomatique qui ne prenne en compte cette sécurité», explique Emmanuel Macron.
La priorité de notre politique internationale doit être notre sécurité
En termes de politique étrangère, le chef de l'Etat assure qu'il «parle à tout le monde de manière très directe, et franche». Il évoque notamment son dialogue avec Vladimir Poutine avec qui il assure communiquer sans tabous «alors qu'il était de coutume de ne pas parler des sujets qui fâchent». Avec le président russe, Emmanuel Macron explique qu'il essaie de repérer les désaccords absolus, les points de convergence et les voies sur lesquelles Paris et Moscou peuvent trouver «un chemin commun».
Nécessité du dialogue avec Moscou
«Sur l'Ukraine, nous avons un différend absolu avec Vladimir Poutine. Je l'acte. La France ne lui passera rien. Mais nous avons malgré tout inauguré un dialogue entre sociétés civiles, le dialogue de Trianon, que nous allons mettre en œuvre. Et nous avons aussi des accords, notamment sur la politique climatique. Il est prêt à nous suivre», assure le chef de l'Etat.
En ce qui concerne le conflit syrien, Emmanuel Macron assure qu'il y a «des voies de progrès». Et d'ajouter : «Je ne fais pas, sur ce sujet, de la destitution de Bachar el-Assad un préalable à tout, mais j'ai deux lignes rouges : les armes chimiques et les accords humanitaires». Aussi, le président est convaincu que si Vladimir Poutine l'aide à avancer sur ces sujets, ils pourront «avoir des points de convergence».
«Nous avons avancé sur les armes chimiques. J'ai le sentiment que la position russe a changé depuis notre conversation à Versailles. C'est cela, ma stratégie : avoir un discours de vérité et de pragmatisme. J'assume que la sécurité soit la priorité de notre diplomatie. Parfois, cela conduit à un pragmatisme. On peut réconcilier ce réalisme et la défense de nos valeurs», explique Emmanuel Macron.
Fin de l'interventionnisme ?
Il insiste par ailleurs sur la nécessité pour la France de reconsidérer la politique d'ingérence et ses résultats. «Il faut en finir avec ce néoconservatisme mal digéré qui nous conduit à interférer dans la politique domestique des autres pour nous retrouver ensuite isolés. En Libye et en Syrie, cela nous a menés à des échecs cruels», assure le président.
«Les armées ne font pas ce qu'elles veulent»
Violemment critiqué pour sa gestion du domaine de la Défense, en raison notamment des coupes budgétaires dans l'armée qui ont contribué à la démission du chef d'état major Pierre de Villiers, Emmanuel Macron se veut ferme en réaffirmant son rôle de «chef».
«Il y a eu une tempête dans un verre d'eau car les gens ont perdu le sens de ce qu'est la Ve République et de son fonctionnement. D'ailleurs, si je n'avais réagi comme je l'ai fait, les mêmes auraient dit que j'étais un chef des armées faible. Nous sommes dans un système – voulu par un homme dont la formation première était militaire – où l'autorité militaire rend compte à l'institution civile et politique, et non le contraire. C'est le sens de nos institutions, ce pourquoi le chef des armées est le chef de l'État. Les armées ne font pas ce qu'elles veulent, elles ne sont pas autopilotées», martèle-t-il.
Défense de son bilan intérieur et critique à François Hollande
Interrogé par les journalistes du Point sur la fameuse baisse de cinq euros des APL, le président assure vouloir «aller plus loin», mais «seulement dans le cadre d'une transformation profonde qui doit faire baisser les loyers et dans le cadre d'une politique plus globale».
Emmanuel Macron assure également être conscient des difficultés qu'il rencontre vis-à-vis de l'opinion publique alors que sa côte de popularité est au plus bas.
Il explique ainsi savoir qu'il devra «vivre pendant des mois avec l'impatience du peuple» car il n'oublie pas les circonstances dans lesquelles il a été élu, à savoir «la brûlure de l’attente, de la colère, du populisme». Et d'ajouter en désignant sa nuque : «Je l’ai encore là».
Il affiche toutefois une ambition assumée qu'il voudrait insuffler au pays afin qu'il «redevienne un pays fier» et «sorte de l’esprit de défaite».
«Je crois en la reconstruction d’un héroïsme politique, d’une vraie ambition, pour atteindre y compris ce qui est décrit comme impossible», dit-il, citant son propre succès comme une revanche sur «ce qui est décrété impossible».
Pas question pour lui de juger son action sur cent jours, qui «ne sont pas une étape pertinente», dit-il, car «on ne fait pas les choses en cent jours».
Emmanuel Macron semble également un brin agacé par les récentes déclarations de son prédécesseur qui l'a mis récemment en garde quant aux «sacrifices pas utiles» qu'il ne faudrait pas «demander aux Français» dans le cadre des réformes et notamment celle du code du travail. Sur ce point, le nouveau chef de l'Etat souhaite recadrer François Hollande en lui conseillant «d'arrêter de justifier son bilan devant les journalistes» étant donné qu'il a été «dans l'impossibilité de le défendre devant les Français».
«J'ai du respect pour François Hollande. Je pense qu'il y a eu de bonnes mesures économiques et sociales lors du précédent quinquennat, et j'espère y avoir contribué», explique-t-il néanmoins.
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