Après la lune de miel de la présidentielle, la presse et Emmanuel Macron semblent vivre dans deux mondes séparés. Tandis que les premiers s'inquiètent pour leur liberté d'informer, l'exécutif se plaint et se pose en victime des médias.
Parmi les sujets abordés pendant son homélie devant le Parlement réuni en congrès à Versailles ce 3 juillet, entre arbitrages quant à la nécessaire austérité budgétaire, calendrier des réformes, Emmanuel Macron a trouvé le temps d'adresser une supplique à la presse. «J'appelle à la retenue. J'appelle à en finir avec cette recherche incessante du scandale, avec le viol permanent de la présomption d’innocence, avec cette chasse à l'homme», a-t-il martelé depuis le perchoir du prestigieux hémicycle de l'aile sud du palais de Versailles.
Et pourtant. BFMTV-RMC aura fait dire par la bouche d'une experte en langage verbal et non verbal, Elodie Mielczareck, que l'intervention de Versailles fut «un premier discours très gaullien, très lyrique et poétique», rien ne semble à même d'apaiser Emmanuel Macron, un homme blessé – même indirectement.
Société de délation
«Oui, nous voulons une société de confiance et pour cela, une loi ne suffit pas : c'est un comportement de chaque jour», a affirmé le chef d'Etat. «Mais nous voulons aussi cette confiance parce que la société de la délation et du soupçon généralisé [...] ne nous plaît pas d'avantage», a-t-il tempéré.
«Société de délation» : les mots utilisés sont à peu de chose près ceux qu'un autre homme blessé, l'éphémère ministre de la Justice François Bayrou, a prononcé lors de l'annonce de sa démission le 21 juin. «Je le dis comme je le pense, nous ne pouvons pas vivre dans une société de perpétuelle et universelle dénonciation», déplorait alors le garde des Sceaux démissionnaire, ajoutant : «La France a été à d'autres époques, hélas ! le pays des lettres anonymes.»
Un message aux médias repris en chœur
Mais Emmanuel Macron a aussi repris ce 3 juillet les doléances du porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, à la sortie d'un conseil des ministres afin de défendre la ministre du Travail Muriel Pénicaud, éclaboussée par l'enquête sur déplacement d'Emmanuel Macron à Las Vegas en janvier 2016. «Je vous invite à ne pas chercher à affaiblir tel ou tel», avait-il demandé aux journalistes présents, faisant valoir que ce n'était pas le moment pour la ministre, à l'approche de la réforme du code du travail. En clair, les journalistes se devraient de prendre en compte le calendrier du gouvernement dans leurs enquêtes.
Sans doute Emmanuel Macron a-t-il voulu rendre hommage aux premiers de ses soldats tombés au feu médiatique : Richard Ferrand, ex-secrétaire d'Etat tombé sur le front des Mutuelles de Bretagne et exfiltré vers l'Assemblée nationale comme président de groupe, Marielle de Sarnez, Sylvie Goulard, ministre éclair des Armées... et François Bayrou rendu à sa mairie de Pau pour une énième traversée du désert. Qu'un ministre démissionnaire exprime son amertume et vide son sac est une chose, mais qu'un président de la République s'empare du sujet est moins anodin.
A Versailles, Emmanuel Macron a tracé les grandes lignes de son quinquennat, que ce soit en matière de sécurité ou de politique sociale. Mais il a aussi clairement exposé ce qu'il attendait de la presse et des médias dans ces cinq ans à venir : de la modération et de la coopération. A bon entendeur, salut !
Alexandre Keller
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