France

Duel Macron-Le Pen : pourquoi 2017 n'est vraiment pas 2002

15 ans après le coup de tonnerre du 21 avril 2002, le Front national parvient au second tour, et Emmanuel Macron se retrouve dans la position du candidat du front républicain, comme Jacques Chirac en 2002. La comparaison s'impose donc d'elle-même.

Invoquer les mânes de Jacques Chirac suffira-t-il à faire barrage au Front national comme en 2002 ? Une vidéo du très populaire président, datant de 2007, est en passe de devenir virale sur les réseaux sociaux. Livrant son testament politique, le président, au pouvoir alors depuis près de 12 ans, y exhortait les Français à ne jamais composer «avec l'extrémisme, le racisme, l'antisémitisme ou le rejet de l'autre». «Dans notre Histoire, l'extrémisme a déjà failli nous conduire à l'abîme, c'est un poison», avertissait-il alors.

Dix ans plus tard, le Front national convainc plus de 7 millions d'électeurs. 15 ans après le séisme du 21 avril 2002, le Front national parvient au second tour de la Présidentielle. Aussi la comparaison est-elle tentante, comme en témoigne la très chiraquienne affiche de second tour d'Emmanuel Macron.

Ainsi que le relève Marianne, l'affiche ressemble «à s'y méprendre» à celles de Jacques Chirac en 2002 et en 1988. Même cadrage serré et intimiste, même regard confiant et serein qui porte loin. Mais, surtout, un slogan qui ne doit sa différence qu'à une antéposition. «Ensemble, la France» pour Emmanuel Macron, contre «La France en grand, la France ensemble» en 2002.

Jacques, au secours !

En témoignent également les constantes références d'Emmanuel Macron à Jacques Chirac. Sur le plateau de France 2 le 25 avril 2017, évoquant le refus de Jean-Luc Mélenchon de donner une consigne de vote à ses électeurs, le candidat d'En Marche! ne cache pas son amertume. Jean-Luc Mélenchon «n'avait pas hésité il y a quinze ans à appeler à faire rempart au FN [en appelant à voter pour Jacques Chirac]», déplore-t-il alors. Les quelque 19% d'électeurs de Jean-Luc Mélenchon, décisifs pour le second tour «valent beaucoup mieux que cela», s'inquiète-t-il. Un rappel historique qui passe parfois mal, notamment auprès des internautes.

Il faut dire qu'à l'exception de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, les Français ont toujours un faible pour leurs anciens présidents – morts ou vifs – lesquels bénéficient d'une «cristallisation» qui les absout de bien des fautes.

Ainsi, oubliant «le bruit et l'odeur» de juin 1991, le Jacques Chirac, tombeur de Jean-Marie Le Pen jouit encore aujourd'hui d'une légitimité certaine en matière d'antifascisme et d'antiracisme.

«Aujourd'hui, ce qui est en cause, c'est notre cohésion nationale, ce sont les valeurs de la République [...] Voici venu le temps du sursaut démocratique» : tels étaient les mots prononcés par Jacques Chirac au soir du 21 avril 2002. Deux semaines plus tard, le président sortant, en difficulté dans les sondages jusque-là, était élu haut la main, avec plus de 80% des suffrages.

Le front républicain ne fait plus front

Toutefois, 15 ans après le coup de tonnerre du 21 avril 2002, la situation a bien changé. Ne serait-ce parce que Marine Le Pen n'est pas son père. Celle-ci a en effet repris en main le Front national et travaillé à la «normalisation» du parti, le purgeant de ses éléments les plus sulfureux pour n'en retenir que les fondamentaux : la souveraineté du peuple, et la lutte contre l'immigration et y ajouter un «patriotisme» économique. Marine Le Pen l'a ainsi martelé à l'envi : est Français qui possède une carte d'identité française.

Par ailleurs, les enjeux ne sont pas les mêmes. En 2017, l'Union européenne est en crise. La mondialisation des échanges, le libéralisme dogmatique de Bruxelles sont remis en question par des électeurs qui semblent leur attribuer certains effets délétères dans leur vie quotidienne. Et la crise migratoire, les camps de Calais ainsi que le terrorisme viennent revitaliser l'analyse, vieille de quatre décennies, du Front national.

Enfin, preuve que les temps ont changé, les réseaux anti-FN peinent à mobiliser. On est loin des cortèges rassemblant des millions de Français, notamment des étudiants et des lycéens, et des quelque 500 000 personnes dans les rues de Paris le 1er mai 2002. Le 23 avril 2017, SOS Racisme échouait à rassembler place de la République. Richard Ferrand, secrétaire général d'En Marche! le concède, tandis qu'Emmanuel Macron lui-même le reconnaît : le front républicain «n'existe plus». 

Contrairement à Emmanuel Macron, Jacques Chirac avait en 2002 derrière lui plus de 30 ans de vie politique et pouvait se prévaloir de nombreux mandats démocratiques. En outre, il était, comme fondateur du RPR en 1976, l'héritier putatif et le passeur du gaullisme. A la tête d'un mouvement «ni de droite ni de gauche», créé voilà un an tout juste, le candidat d'En Marche!, jamais élu, ne saurait disposer des mêmes cartes.

Alexandre Keller

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