France

L'arroseur-arrosé qui s'assume ou comment le gouvernement a géré la crise du FrenchLeaks

Les révélations sur les écoutes de la NSA n'ont pas destabilisé le gouvernement qui a fait passer sans bronca, ni débat la loi renseignement à l'Assemblée nationale. Un texte qui permettra aux services français d'écouter tout le monde sans impunité.

«Je suis choqué que le gouvernement n'ait pas eu une réaction plus forte. Il aurait pu au moins, comme les Allemands l'ont fait, expulser le chef des Renseignements américains» confiait ce matin à RT, le sénateur UDI, Yves Pozzo di Borgo. En effet, la réplique française à ce scandale d'écoutes illégales peut paraître assez molle. Un coup de téléphone entre François Hollande et Barack Obama et la convocation «en urgence» de l'ambassadrice américaine en France au ministère des Affaires Etrangères afin qu'elle «apporte des réponses».

D'aucuns n'ont donc pas hésité à qualifier ces gesticulations «d'indignation de façade», la France ne voulant pas se mettre à dos son puissant allié américain. Roland Dumas, ancien ministre des Affaires Etrangères, s'est ouvertement inquièté du manque d'indépendance de l'hexagone. «Depuis des mois, nous voyons petit à petit que la politique française, sur le plan international, glisse de plus en plus sous le chapeau américain», a ainsi confié le compagnon de route de Mitterrand à RT France.

En savoir plus: Roland Dumas : la France glisse «sous le chapeau américain»

Des révélations, qui outre leur aspect diplomatique, portaient en elles également un enjeu très national. En effet, le scandale a été dévoilé conjointement par deux organes de presse (Mediapart et Libération) le mercredi 24 juin, jour où la loi renseignement, très controversée, était votée à l'Assemblée nationale.

L'arroseur arrosé

Une ironie du sort qui n'a évidemment pas échappé à la twittosphère. Nombreux sont ceux qui se sont donc répandus sur la Toile quant à l'hypocrisie de nos gouvernants, qui s'indignent d'un côté d'être espionnés tout en faisant passer de l'autre une loi où il s'agit justement de permettre aux services français de mieux «écouter» la population.

Mais pas question pour le gouvernement de se laisser destabiliser et de reculer sur sur un projet, si bien huilé.

Selon Tristan Nitot, membre du Conseil national du numérique, l'organisme chargé de rendre des avis sur tout ce qui a trait au web et au numérique, le travail du rapporteur de la loi Jean-Jacques Urvoas a été «incroyable». «Nous dénonçons cette loi, qui va permettre une écoute massive de la population, mais il faut reconaître que le gouvernement a bien joué le coup. Alors que le texte était dans les tuyaux depuis l'été dernier, il a surfé sur la vague des attentats de Charlie pour la proposer, ensuite Jean-Jacques Urvoas a travaillé pour mettre tout le monde en ordre de marche, enfin la procèdure d'urgence déclenchée par le gouvernement [ne permettant qu'une lecture par Chambre] a littéralement tué tout débat» a-t-il détaillé à RT France.

Mieux, le député socialiste est même parvenu à retourner la situation à son avantage. Interviewé jeudi 25 juin par France Inter, Jean-Jacques Urvoas a ainsi dénoncé sans sourciller la «nocivité du partenariat entre les services de renseignement allemands et la NSA, [et dit souhaiter] la création d'un noyau dur européen du renseignement», ce que va permettre la loi votée hier.

Encore des révélations à venir prévient Assange

Un rapporteur aussi doué pour les «pirouettes» sémantiques, voilà peut-être ce que Mediapart, qui a toujours été vent debout contre le projet de loi renseignement, n'avait peut être pas anticipé. Ainsi, le site, qui a fort opportunément révélé les écoutes des trois derniers présidents français par les Américains, a peut-être manqué sa cible. La loi est passée, sans plus de vagues. 

Quant à Julian Assange, la source de ces révélations, on ne sait pas trop qui il visait. Peut-être le projet de loi en lui-même, tant ce texte met un pan sur le bec à la liberté infinie du web? Ou peut-être la relation «priviligiée» franco-américaine, lui qui est la bête noire des Etats-Unis ?

Reste qu'au lendemain du scandale, il ne reste plus grand monde pour s'indigner de telles pratiques d'espionnage entre alliés ou pour remettre en cause les fondements de la loi renseignement. Si les choses semblent être rentrées dans l'ordre, cela pourrait pourtant ne pas durer. Le fondateur de WikiLeaks a déjà promis de nouvelles révélations. «Les documents les plus importants restent à venir» a t-il déclaré.