France

La situation en Guyane s’enlise, les représentants des citoyens claquent la porte des négociations

Les négociations, entre un collectif de Guyanais et les ministres Matthias Fekl et Ericka Bareigts, qui visent à sortir la Guyane de plus de dix jours de conflit social, se sont arrêtées le 30 mars quelques minutes à peine après avoir commencé.

Les ministres de l'Intérieur Matthias Fekl et des Outre-mer Ericka Bareigts avaient entamé le 30 mars au matin leurs discussions avec les leaders de la mobilisation en Guyane, très déterminés à obtenir les moyens de faire enfin «décoller» le territoire après le succès des manifestations des derniers jours.

Mais alors que les médias n’avaient pas été conviés aux discussions, le collectif portant les revendications a décidé, moins d’une demi-heure après le début de la rencontre, que «ça ne pouvait pas se passer comme ça pour des questions de transparence», a déclaré l’un de ses membres, le représentant du Medef local, Stéphane Lambert, à l’AFP.

La vingtaine de négociateurs issus de la société civile guyanaise sont alors sortis de la préfecture, où les discussions se tenaient. Ils faisaient face à 11h30 (16h30 à Paris) à des centaines de manifestants venus les soutenir, qui s’affirment «déterminés».

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La rencontre avait démarré dans une ambiance électrique et sous une pluie battante, avec une heure et demie de retard.

La ministre de l'Outre-mer Ericka Bareigts a néanmoins présenté «ses excuses» au «peuple guyanais» pour des années de sous-investissement de Paris en Guyane.

«Au bout de tant d'années, c'est à moi que revient l'honneur de dire, au-delà de ma petite personne, au-delà des fonctions, toutes mes excuses au peuple guyanais», a lancé la ministre du perron de la préfecture de la Guyane, s'attirant les acclamations et les applaudissements de centaines de personnes.

Une partie des requêtes déjà validées par Paris

Alors que la rencontre devait commencer à 9h locales, le collectif des «500 frères», soutenu par des centaines de manifestants, avait d’abord exigé, et obtenu, le retrait du dispositif de sécurité érigé face à la préfecture, menaçant de se retirer des discussions.

«Le combat ne fait que commencer», avait prévenu le 29 mars Mickaël Mansé, un porte-parole des «500 frères», mouvement très actif depuis le début de la crise il y a dix jours.

«Quel que soit le gouvernement» qui sortira des élections, «ils nous doivent les infrastructures que tous les autres départements français ont !» a asséné Mickaël Mansé devant des centaines de personnes réunies sur un rond-point de Cayenne, qui scandaient, dans une ambiance festive, «nou bon ké sa» qui se traduit par «ça suffit» en créole.

Et Mickaël Mansé, très remonté contre Paris, de lister les besoins de la Guyane en termes de prison, de justice et de police.

Une partie de leurs requêtes a déjà été validée par l'exécutif. Le 29 mars, le Premier ministre Bernard Cazeneuve a acté la création d’un Tribunal de grande instance et d’un centre pénitentiaire à Saint-Laurent du Maroni, la deuxième ville du territoire, ainsi que la suspension de la cession du centre médical de Kourou.

Le préfet Jean-François Cordet, qui pilote une mission de hauts fonctionnaires envoyée par Paris, active depuis le 25 mars en Guyane, avait annoncé deux jours plus tard le renfort de «25 policiers, 23 gendarmes», ou «la fidélisation d’un escadron de gendarmes mobiles à Cayenne».

Ericka Bareigts et la ministre de la Santé Marisol Touraine ont validé le 29 mars une aide de fonctionnement exceptionnelle de 20 millions d’euros à l'hôpital de Cayenne, en difficulté financière.

La tâche s'annonce malgré tout ardue pour les deux représentants du gouvernement, arrivés le 29 mars soir dans la capitale guyanaise, et qui ont immédiatement affiché un esprit de «compréhension» pour «les difficultés» qu'affronte le territoire ultramarin, selon Matthias Fekl.

Pas de montant précis sur la table

«Nous sommes là pour écouter, pour avancer avec des solutions concrètes», a dit Matthias Fekl, prêt à rencontrer tous ceux qui veulent «sereinement construire l'avenir de la Guyane».

A ses côtés, Ericka Bareigts a appelé à «maintenir la perspective» et «dresser les espérances [...] au-delà des échéances électorales», en cherchant des solutions à «dix ou quinze ans».

Selon le site du quotidien Les Echos du 29 mars, les ministres «seraient en mesure de poser sur la table des négociations un pacte de développement de la Guyane de quatre milliards sur un peu moins de dix ans». Des informations aussitôt démenties par Matignon.

Les ministres ne sont partis avec «aucune enveloppe prédéterminée», selon Matignon qui affirme : «On ne travaille pas comme ça. On travaille avec les acteurs à des mesures utiles pour la Guyane, pas sur des chiffres fantaisistes et inventés.»

Manifestations monstres

La Guyane est un département exsangue. L’insécurité y est record avec 42 homicides en 2016 pour 252 000 habitants. Le taux de chômage dépasse les 20%, environ le double de celui de la métropole. Le taux de pauvreté passe la barre des 40%. De plus, au niveau démographique, une population jeune et en forte croissance aspire à un avenir meilleur. Pour finir, la dépendance aux dépenses publiques atteint des records en Guyane.

C’est ce cocktail explosif qui a poussé une partie des habitants du territoire à se révolter. Avec, en tête de cortège, les «500 frères». Créé dans la foulée du meurtre d’un habitant d’un quartier populaire, le collectif se veut partie intégrante du mouvement social qui touche la Guyane. Déambulant dans les rues, cagoules sur leurs visages, la centaine de personnes qui compose ce groupe propose notamment aux autorités des solutions contre l’insécurité qui touche le territoire.

Le 25 mars, 37 syndicats réunis au sein de l'Union des travailleurs guyanais (UTG) votaient à la quasi-unanimité en faveur d'une «grève générale illimitée», à partir du 27 mars. Peu suivie le premier jour, la mobilisation s’est renforcée le 28 mars avec les manifestations les plus importantes que la Guyane aient jamais vu.

Alors que 250 000 personnes vivent dans ce territoire, la préfecture a comptabilisé le 28 mars à 12h (17h heure de Paris) respectivement entre 8 000 et 10 000 participants à Cayenne et entre 3 500 et 4 000 à Saint-Laurent-du-Maroni, les deux plus grandes villes guyanaises.

«C'est la plus grosse manifestation jamais organisée en Guyane», a commenté la préfecture de région, interrogée par l'AFP, qualifiant ces chiffre d'«énormes».

Dans Cayenne, l'avenue du Général-de-Gaulle, qui mène à la vieille ville, était noire de monde à 10h. Beaucoup de drapeaux guyanais étaient brandis, ainsi que des banderoles reprenant le slogan «nou bon ké sa» qui a fleuri ces derniers jours sur les nombreux barrages installés dans les villes du territoire.

«Nous voulons que l’Etat nous donne les moyens. Ca fait trop longtemps que ça dure, l’Etat doit reconnaître la population guyanaise», faisait valoir une manifestante.

Le collectif des protestataires «Pou La Gwiyann dékolé» («pour que la Guyane décolle», qui regroupe autant des collectifs contre la délinquance et pour l'amélioration de l'offre de soins, que l'UTG ou les avocats guyanais) s'en est trouvé renforcé, alors qu'il avait refusé de rencontrer la délégation interministérielle arrivée le 25 mars, préférant attendre des discussions au niveau ministériel.

La vie reprend petit à petit son cours

Le 29 mars, les commerces étaient ouverts, les stations-service n'étaient plus prises d’assaut, des crèches accueillaient les enfants et le service d'éboueurs fonctionnait, a constaté l’AFP. Au dixième jour de grève, les établissements scolaires étaient cependant toujours fermés.  

Mais la situation reste tendue. Matthias Fekl et Ericka Bareigts sont arrivés alors que certains Guyanais tiennent encore des barrages et doutent de la capacité du gouvernement à résoudre la situation «à la veille des élections».

Et l’arrêt prématuré des négociations n’augure pas d’une sortie de crise.