France

Expert en délinquance : «Il n'y a pas plus de règlements de compte aujourd'hui qu'il y a 30 ans»

Alors qu'une nouvelle fusillade a éclaté à Grenoble, causant la mort d'un jeune de 19 ans, RT a interrogé Laurent Mucchielli, spécialiste de la délinquance marseillaise. Il démonte nos idées reçues.

Chaque semaine, son lot de règlements de compte.  Les mots «fusillade à la kalachnikov» ou «barbecue» [voiture brûlée avec un corps à l'intérieur pour effacer les traces] sont entrés dans le vocabulaire des Français. Que se passe-t-il en France ? Assiste-t-on à une «américanisation» de la société ? Laurent Mucchielli, sociologue de la délinquance et des politiques de sécurité, répond à nos questions et s'attaque à l'effet de loupe médiatique qui déforme la réalité de la délinquance française.

RT: Selon vous, y-a-t-il plus de règlements compte en France aujourd'hui qu'avant ?

Laurent Mucchielli: Non. Ce qui se passe c'est un effet de loupe médiatique. Moi, j'appelle cela l'effet «projecteur». Les médias braquent leurs projecteurs sur des faits qui avant restaient dans l'ombre. Quand en plus, vous ajoutez un effet «série», comme à Grenoble la semaine dernière [3 fusillades en une semaine faisant 1 mort et 2 blessés], vous obtenez la sensation qu'il n'y a jamais eu autant de règlements de compte. Mais c'est faux. Par exemple à Marseille [Laurent Mucchielli est spécialiste de la délinquance marseillaise], dans les années 80, il y avait trois fois plus de crimes perpétrés entre malfaiteurs qu'aujourd'hui. Et je peux vous dire également que ce n'est pas plus facile de se procurer des armes aujourd'hui qu'avant. On parle volontiers de la kalachnikov, mais avant les bandits avaient des mitraillettes, cela faisait les mêmes trous dans la peau...mais on en parlait moins. 

RT: Peut-on parler d'une «américanisation» de la délinquance française, avez des gangs et des territoires à défendre ?

Laurent Mucchielli: Je ne crois pas qu'il y ait besoin d'aller chercher des «modèles» aux Etats-Unis. La France a toujours eu ses délinquants. Cela va du voleur de scooter du coin de la rue au criminel de haut vol, qui travaille dans un réseau organisé et international, proche d'une «mafia». Les règlements de compte que nous voyons se produire aujourd'hui sont d'ailleurs plus le fait de trafiquants de cannabis, qui «s'embrouillent» pour des territoires ou des histoires de «balances» [dénonciation des uns et des autres à la police] que de grands bandits. Ces derniers eux n'agissent pas en pleine rue au risque de se faire prendre, il y a un côté «amateur» dans ces règlements de compte.

RT: Vous étudiez la délinquance, pouvez-vous nous dire ce qui a évolué ces dernières années ?

Laurent Mucchielli: La principale différence vient justement de la montée en puissance du trafic de cannabis. Imaginez, selon l'OFDT, l'Observatoire des Drogues et Toxicomanie, en 2014 environ 13,5 millions de Français déclaraient avoir consommé du cannabis dans l'année. Avec une telle demande, l'offre s'est naturellement accrue. C'est simple, il n'y a pas en France un seul gros village où il n'y a pas de trafiquants. Alors lorsque l'on voit ici et là des règlements de compte se produire, des coups de feu retentir, on peut se dire que c'est bien peu, comparé à la réalité de l'économie souterraine que représente le marché du cannabis en France

RT: Quel est le profil-type de ces nouveaux délinquants ?

Laurent Mucchielli: On peut dire que la trajectoire est bien souvent la même:  échec à l'école, peu de soutien à la maison et donc mauvaises rencontres dans la rue. Ces jeunes embrassent alors, comme on dit en sociologie, une carrière de délinquants. Ils jouent les durs, font de la prison, et se procurent des armes pour consolider leur statut. Ce ne sont pas des millionnaires, loin de là -seuls les gros trafics à l'international rapportent gros- et lorsqu'une guerre de territoires éclate, ils ont peur alors ils tirent.