Dans un rapport dont l'AFP a eu connaissance le 15 mars, le gendarme de Bercy suspecte le constructeur automobile d'avoir utilisé «un logiciel» programmé pour parvenir à respecter les normes réglementaires européennes antipollution.
Ce document, dont Libération a révélé l'existence, se concentre sur des modèles récents, mais la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui s'appuie sur le témoignage d'un ex-salarié, estime que certaines pratiques remontent à 1990.
«Plusieurs véhicules étaient équipés de dispositifs de détection de cycle» qui permettaient à la voiture de repérer si elle était en train de passer des tests d'homologation. Dans ce cas, l'électronique adaptait le fonctionnement du moteur pour que ce dernier émette moins de polluants, d'après cet ancien technicien qui a quitté le groupe en 1997. La première génération de Clio, sortie en 1990, était concernée pour les moteurs essence, d'après lui.
Les hautes sphères au courant ?
La DGCCRF estime que «l'ensemble de la chaîne de direction de la société qui rend compte en dernier ressort à son PDG Carlos Ghosn» est impliquée.
«Aucune délégation de pouvoir n'a été établie par Carlos Ghosn concernant l'approbation des stratégies de contrôle utilisées pour le fonctionnement des moteurs», relève notamment la Répression des fraudes qui conclut à «la responsabilité» du PDG.
L'enquête du gendarme de Bercy se concentre sur les moteurs diesel Euro 5 et Euro 6, homologués à partir de septembre 2009.
Le document met en lumière des écarts importants entre les performances de certains d'entre eux au moment de leur homologation en laboratoire et leur utilisation en conditions réelles, en particulier les modèles Renault Captur et Clio IV qui dépasseraient le seuil réglementaire d'émission de dioxyde de carbone respectivement de 377% et de 305%.
Un dispositif frauduleux
«Ces résultats permettent de soupçonner l'installation d'un dispositif frauduleux qui modifie spécifiquement le fonctionnement du moteur, pour en réduire les émissions de NOx (oxydes d'azote, NDLR) dans des conditions spécifiques du test d'homologation, afin que les émissions respectent les limites réglementaires», conclut la DGCCRF dans son procès-verbal.
Ses conclusions, rendues en novembre, ont largement contribué à l'ouverture de l'information judiciaire le 12 janvier par le parquet de Paris visant Renault pour «tromperie sur les qualités substantielles et les contrôles effectués».
Ces soupçons rappellent le scandale Volkswagen, qui a reconnu en septembre 2015 avoir équipé onze millions de ses véhicules diesel à travers le monde d'un logiciel destiné à tromper les contrôles anti-pollution. Partie des Etats-Unis, cette affaire a coûté pas moins de 23 milliards de dollars au géant allemand dans ce pays.
Renault dément
Mercredi, la CGT de Renault a déploré que l'image de l'entreprise soit «fortement ternie par ces révélations» et appelé la direction à «faire toute la lumière sur cette affaire qui traîne depuis trop longtemps».
Alors que l'Etat détient encore 19,74% du capital de Renault, l'affaire a également fait réagir le candidat à l'élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon, pour qui «naturellement l'Etat ne peut pas approuver l'idée que l'on viole la loi et les décisions des parlementaires».
Pour l'avocat Frédérik-Karel Canoy, avocat de parties civiles, «ces faits très graves nécessitent une réponse judiciaire qui, conformément au code pénal prévoit une réparation intégrale pour les parties civiles».
«Nous demandons le remboursement du véhicule litigieux à son prix d'achat, la prise en compte du préjudice moral et des frais d'avocats», a ajouté le conseil qui a mis en place une plateforme pour recueillir les plaintes dans cette affaire.
France Nature Environnement envisage de se porter partie civile, relevant dans un communiqué que «ces émissions portent directement atteinte à la santé des citoyens».
De son côté, Renault oppose un «démenti formel» aux soupçons de triche aux tests d'homologation de moteurs énoncés par la Répression des fraudes, a indiqué le 15 mars à l'AFP le numéro deux du groupe automobile français, Thierry Bolloré.
«Renault ne triche pas [...] Tous les véhicules ont été homologués conformément à la réglementation en vigueur», a déclaré le directeur délégué à la compétitivité de l'entreprise, lors d'un entretien téléphonique.
«Renault réaffirme que ses véhicules ne sont pas équipés de logiciels truqueurs», a-t-il précisé.
La Bourse de Paris a toutefois mal réagi, le titre enregistrant à la clôture le plus fort recul du CAC 40 (-3,67%), dans un marché quasi stable.