Il y a donc comme de la concentration dans l'air dans le secteur des télécoms français. Si l'homme d'affaires franco-israélien Patrick Drahi voit son offre de rachat aboutir, le marché de la téléphonie serait alors aux mains de seulement trois entreprises: SFR, Free et Orange.
Plus encore, le rachat de Bouygues par SFR-Numéricable signifierait un chamboulement profond des parts de marché. Par ce rachat, SFR atteindrait les 33,8 millions d'abonnés et dépasserait donc Orange, jusque-là leader avec 27,3 millions d'abonnés. Sur le marché d'Internet, SFR tâlonnerait sérieusement Orange avec 8,9 millions d'abonnés.
Free s'est également positionné dans cette affaire: en cas de rachat de Bouygues Telecom, SFR pourrait revendre à l'entreprise de Xavier Niel un certain nombre d'actifs comprennant des fréquences, des antennes et des boutiques de Bouygues.
Pour le moment, Bouygues s'est contenté de répondre à cette «offre non sollicitée» par un laconique communiqué où l'entreprise précise que le conseil d'administration étudiera l'offre de Patrick Drahi et de son entreprise Altice ce 23 juin. Mais les arguments de Patrick Drahi sont sonnants et trébuchants puisque son offre de rachat est de deux milliards d'euros supérieure à l'estimation des marchés.
Des syndicats alarmistes
Du côté des syndicats, l'inquiétude est de mise face à cette offre de rachat. Contacté par RT France, Fabrice Pradas délégué du principal syndicat de SFR, UNsa-SFR est plus que circonspect: "Nous avons deux craintes. Evidemment le maintien de l'emploi. Nous gardons en tête que lorsque Bouygues s'était porté candidat pour le rachat de SFR, tous les experts avaient alors tablé sur la possibilité d'une suppression de 3000 emplois, du fait des postes doublons entre les deux entreprises. La seconde crainte est que la dette contractée par SFR, avec les risques et les remboursements que cela suppose, risque au final d'être payée par les salariés mais aussi par les clients».
Du côté de Bouygues, le syndicat CFDT se montre également réticent: «Nous craignons, comme nos collègues de SFR, la suppression de 3000 postes. Pour ceux qui vont rester, nous songeons notamment à une possible dégradation des conditions de travail. Nos collègues de SFR nous ont fait part de départs qui n'ont pas été remplacés, de burn-out et de pressions continues. Nous ne voulons pas de cela à Bouygues» explique à RT France Azzam Ahdab, délégué syndical chez Bouygues télécom. Le groupe emploie actuellement 6.300 salariés, auxquels s'ajoutent quelque 2.000 collaborateurs en comptant les boutiques.
Le syndicat CFDT souligne également qu'au final «seule une petite minorité d'actionnaires peut se satisfaire de ce rachat. Les salariés ont tout à y perdre; les clients aussi car par effet mécanique les tarifs vont augmenter. L'Etat français ne sera pas gagnant car cela signifie des impôts en moins pour lui»
Le risque de surchauffe financière
Du côté des pouvois publics, le ton est également peu enthousiaste, notamment par la voix du Ministre de l'Economie Emmanuel Macron, cité par l'AFP: «Le temps n'est pas à des rapprochements opportunistes auxquels plusieurs peuvent trouver un intérêt qui ne retrouve pas ici l'intérêt général» a-t-il ainsi averti.
Les inquiétudes se portent notamment sur l'état des finances du groupe Altice, propriétaire de SFR-Numéricable, endetté à hauteur de 32 milliards d'euros. Or selon le JDD, Altice aurait obtenu «un nouvel emprunt auprès de BNP Paribas» et paierait le prix d'achat de 10 milliards «en cash».
Ce n'est pas la première fois que Patrick Drahi fait entendre parler de lui et de son appétit de rachat et d'investissement. Il est en effet à la tête d'un empire des médias et des télécommunications qui compte les journaux L'Express, Libération et la chaîne francophone basée à Tel Aviv I24News. Déjà en 2014, il s'était emparé de SFR à l'issue d'un long combat contre Bouygues Telecom, en rachetant à Vivendi l'opérateur pour plus de 13 milliards d'euros. L’homme d’affaires franco-israélien est la troisième fortune de France avec un patrimoine estimé à plus de 18 milliards d’euros.
Devant une telle force de frappe financière les syndicats augurent mal de l'avenir: «Les pouvoirs publics ne peuvent pas faire grand chose. Nous pouvons seulement espérer qu'en tant qu'actionnaire d'Orange, l'Etat prendra ses responsabilités en récupérant une partie des salariés qui partiront» confie Fabrice Pradas à RT France
Du côté de Bouygues, le syndicat CFDT, on se prépare à de rudes négociations pour limiter au maximum les conséquences sur les salariés: «Bouygues peut refuser l'offre. Mais ce serait une surprise au regard du prix proposé. L'argent n'est visiblement pas un problème pour Altice. Nous espérons que l'autorité de la Concurrence demandera des garanties, notamment sur le maintien de l'emploi dans la filière Télécom. De toute façon, nous envisageons des actions avec nos collègues de SFR avec lesquels nous sommes en contact permanent» insiste Azzam Ahdab, le délégué de la CFDT .