France

Après un millénaire les Normands se déchireront-ils sur leurs origines vikings ?

Des chercheurs de l'Université de Leicester mènent depuis lundi une enquête sur les possibles origines vikings des habitants du Cotentin. Une recherche qui a éveillé les craintes d'activistes anti-racistes locaux.

Aux IXème et Xème siècles, les Vikings ont mené des attaques contre ce qui deviendra plus tard la Normandie. Le roi Charles le Simple, débordé par les invasions de ces guerriers nordiques, négocie la paix avec Rollon, un de leurs chefs. En échange de la fin des pillages, celui-ci se voit confier les pays qui entourent la Basse-Seine. Le futur duché de Normandie devient alors une terre viking.

Un millénaire plus tard, le patrimoine génétique de ces guerriers scandinaves perdure-t-il toujours dans le sang des normands ?

C'est la question que s'est posée l'Université de Leicester. L'institution, qui s'est rendue célèbre en identifiant les restes de Richard III, mène depuis lundi une recherche auprès des habitants de la côte du Cotentin. Le but de son enquête : «connaître l'intensité de la colonisation scandinave aux IXème et Xème siècles dans le Cotentin, son ampleur mais aussi savoir si les colons sont restés entre-eux ou s'ils se sont mariés avec les locaux», explique Richard Jones, chercheur à l'Université de Leicester.

Une recherche dont les conclusions apporteront des pistes intéressantes concernant les mouvements de population au Moyen-Age, les conquêtes et les conflits dans le Nord de l'Europe, mais aussi un éclairage nouveau sur le patrimoine génétique des habitants du département de la Manche.

C'est cet apport d'information qui pousse les activistes du Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples (MRAP) à se méfier du projet. L'association anti-raciste, qui existe à l'échelle nationale, s'est montrée particulièrement hostile au projet. Jacques Declomesnil, le président du MRAP dans la Manche, exprime des inquiétudes sur la manière dont les résultats de la recherche seront utilisés et interprétés. «On craint que cela développe l'idée qu'il y a de vrais Normands et de faux Normands», explique-t-il. «Quand on voit en Une de certains journaux des photos de guerriers Vikings brandissant leurs armes avec en titre ''Avez-vous du sang Viking ?'', on ne peut que s'inquiéter».

Une thématique trop sensible pour l'époque.

L'argument avancé par le MRAP, c'est que la recherche, au-delà de ce qu'elle représente historiquement et scientifiquement, risque d'envenimer un climat social déjà délicat. «Dans le contexte actuel de montée de la xénophobie, c'est extrêmement dangereux», poursuit l'activiste. «Certains racistes pourraient par exemple se dire ''j'aurai la preuve que je n'ai pas de sang arabe''».

Une façon de voir les choses que partage l'Université de Caen, qui a pris position aux côtés du MRAP Manche. Pierre Bauduin, professeur d'histoire médiévale, incite à la prudence. «J'avais prévenu mes collègues britanniques que c'étaient des questions extrêmement sensibles en France», explique-t-il ajoutant qu'«il faut faire très attention à ce qu'il n'y ait pas de récupération. »

Les responsables de la recherche réfutent ces mises en garde, arguant que l'étude n'est pas assez poussée pour permettre à un participant de retrouver l'ensemble de ses origines de manière exhaustive et certaine. «Nous n'étudions que 2% de l'ADN (des participants) pour en conclure éventuellement qu'il y a une possibilité qu'autour du Xème siècle, une personne ait eu un ancêtre scandinave», se justifie Richard Jones. Comprendre : 98% des secrets de l'ADN restent mystérieux, un individu ne pourrait donc pas connaître ses origines de manière complète sur la base de cette étude.

Pour le chercheur, l'intérêt du sujet dépasse les craintes des intéressés. «La Normandie est la seule fondation politique durable établie par les Vikings sur le continent [européen]», explique-t-il. L'étude menée par l'Université de Leicester concerne trois régions en Angleterre pour une seule sur le continent : la Normandie.

Contacté par RT France, le siège du MRAP à Paris n'a pas souhaité se prononcer, expliquant que «la prise de position de l'association sur le sujet était encore en délibéré».

Quelle que soit l'issue de ce conflit, l'étude devrait suivre son cours. Une centaine de volontaires environ ont déjà participé aux recherches en temps que sujets. Ils devraient recevoir leurs résultats à la fin de l'année. L'étude, elle, sera publiée au cours de l'année 2016.