France

30 ans de Schengen : le chemin pavé de bonnes intentions

Il y a 30 ans, la France, l'Allemagne de l'Ouest, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg signaient les accords de Schengen pour créer un espace de libre-circulation des personnes. Aujourd'hui, son fonctionnement est remis en cause en Europe.

Les accords de Schengen ont fait des petits. Et beaucoup même. En 2015, l'espace Schengen regroupe désormais 26 pays (dont 22 de l'Union européenne et 4 pays associés Islande/Norvège/ Liechtenstein/Suisse), et concerne plus de 400 millions de citoyens, le tout sur une superficie de plus de 4 millions de kilomètres carrés. Un «monstre» gigantesque, souvent bien difficile à gérer pour les états membres qui s'interrogent.

Si l'espace Schengen a été pensé au départ comme un grand espace de liberté, cet idéal s'est pourtant brisé le nez à plusieurs reprises ces dernières années, notamment à cause des crises, qu'elles soient économiques ou migratoires.

La peur du plombier polonais

L'une des premières secousses date de 2005. Alors que la France s'interroge sur le futur traité européen, un projet de directive, dite Bolkestein, créé la polémique dans l'hexagone. Selon cette dernière, les travailleurs de l'espace Schengen pourront proposer leurs services aux salaires et conditions sociales de leurs pays d'origine. L'image du plombier polonais, qui enlève le pain de la bouche aux Français,  résonne dans un pays déjà en proie à de fortes difficultés économiques avec un taux de chômage qui grimpe. La libre-circulation des personnes, et donc des travailleurs fait d'autant plus peur, que l'Union européenne ne cesse de s'agrandir, notamment à l'Est où elle absorbe des pays plus pauvres et aux normes sociales plus basses. Schengen est donc vécu comme une menace de l'intérieur, mais aussi de l'extérieur.

La crise des migrants tunisiens

Car qui dit Schengen, dit Frontex. Frontex, c'est l'agence européenne pour la sécurité et les frontières extérieures de l'Union européenne, basée à Varsovie en Pologne. Dotée chaque année depuis sa création en 2005 d'un budget colossal (114 millions euros en 2015 par exemple), l'agence est censée veiller sur les frontières extérieures de l'Union européenne. Car pour les membres de Schengen, la libre-circulation au sein de l'espace, n'est valable que si les frontières extérieures restent bien fermées.

Les printemps arabes vont donc marquer un tournant dans cette «entente» Schengen. Alors que la Tunisie s'embrase au mois de février 2011, l'Italie, elle, croule sous les arrivées de rafiots de migrants. Le pays décide donc d'accorder des permis de résidence pour 6 mois à 25.000 d'entre eux, leur permettant d'emblée de circuler librement dans Schengen.

Une décision qui agace Paris et Berlin qui ménacent dans la foulée de (re)mettre en place des contrôles aux frontières. Ce que fera d'ailleurs la France pendant plusieurs heures, en avril 2011, en bloquant des trains en provenance d'Italie.

De vifs débats agitent alors Bruxelles quant à l'idée de permettre ou non à des Etats de renforcer leurs frontières en cas de «pression migratoire forte et imprévue». Au Parlement et dans la rue, certains dénoncent ces attaques en règle contre l'espace Schengen. Mais en septembre 2011, la commissaire des Affaires intérieures, Cecilia Malmström, dédouanne la France du bout des lèvres : «sur un plan formel, les mesures prises par les autorités italiennes et françaises étaient conformes à la législation de l'UE. Cependant, je regrette que l'esprit des règles de Schengen n'ait pas été pleinement respectés».

Au mois de juillet 2011, le Dannemark s'engouffre dans la brêche et annonce qu'il renforce ses contrôles douaniers afin de lutter «contre l'immigration illégale et la criminalité organisée». Nouveau tollé à Bruxelles qui décide d'envoyer aux Danois des experts chargés de vérifier la conformité des mesures prises avec le droit communautaire. Finalement, ces contrôles seront abandonnés quelques semaines plus tard par le nouveau chef de gouvernement fraîchement élu.

Roumanie, Bulgarie: des pays qui posent problème

Membres de l'Union européenne depuis 2007, ces deux pays ne sont pourtant pas encore officiellement entrés dans l'espace Schengen. La France notamment y est très hostile et ne s'en cache pas. En 2013, Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères déclarait ne pas y être très favorable et ce, «tant que les deux pays ne contrôleraient pas mieux leurs frontières». Derrière cette réthorique se cache en réalité la peur de voir débarquer en France des milliers de migrants, turcs notamment, ayant transité par la Roumanie ou la Bulgarie. Les ressortissants de ces deux pays sont en revanche autorisés à circuler au sein de l'espace Schengen en présentant une carte d'identité.

Les opt-out, une drôle d'option

Que dire également des îles britannique et irlandaise ? Voilà deux pays qui, bien que membres à part entière de l'Union européenne depuis de nombreuses années, ont décidé, eux, de se soustraire volontairement, et ce dès le départ, à Schengen.

Lors de sa campagne électorale du printemps, le Premier ministre David Cameron avait d'ailleurs volontiers dénoncé les dérives européennes, et notamment celles de Schengen. Un point de vue qui a flatté un électorat britannique de plus en plus europhobe.

Ainsi aujourd'hui, entre les pays qui ont un pied dedans et un autre dehors, entre ceux qui n'hésitent à en sortir lorsque cela les arrange, ou encore ceux dont personne ne veut car ils sont trop poreux à l'immigration, l'idéal de Schengen, imaginé il y a 30 ans, semble bien avoir du plomb dans l'aile.