France

«Alcool, putes, coke» : derrière la vie parisienne du fils du président guinéen, la haute corruption

Teodorin Obiang comparaît devant les juges français, car il est soupçonné d'avoir dépensé plusieurs millions d'euros d'argent public détourné dans son pays. Les associations y voient une véritable victoire de la lutte contre la corruption africaine.

Ce lundi 2 janvier s'ouvre à Paris un procès qui devrait durer jusqu'au 12 janvier, et dont on risque de beaucoup parler. L'accusé est Teodorin Obiang, le fils de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, président de la Guinée-Equatoriale au pouvoir depuis 38 ans. Ce petit pays d'Afrique de l'Ouest reste certes discret sur la scène internationale, il n'en demeure pas moins l'une des dictatures les plus corrompues du continent africain. Ancien ministre de l'Agriculture et des forêts, promu à la fin du mois de juin 2016 vice-Président du pays par son père, Teodorin Obiang comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris pour «blanchiment d'abus de biens sociaux, de détournement de fonds publics, d'abus de confiance et de corruption».

La réalité derrière la corruption et le blanchiment d'argent dépasse le sens commun, comme le révèlent les éléments de l'instruction. Teodorin Obiang vivait presque toute l'année dans la capitale parisienne. Fréquentant exclusivement les boutiques des grands couturiers de l'avenue Montaigne, ce dandy de 47 ans avait le goût du luxe. Dans son hôtel particulier de 101 pièces situé sur l'avenue Foch, dans le XVIe arrondissement de Paris, acheté pour 25 millions d'euros, il avait fait réaliser pour 11 millions d'euros de travaux : discothèque, bar, salle de jeu, salle de cinéma, hammam et salle de sport... Quatre Bentley, deux Rolls Phantom, deux Ferrari, trois Porsche, deux Bugatti, une Maserati dormaient dans son garage. Quant à la salle de bain, l'eau y coulait par des robinets en or massif. Rien n'était de trop pour cet éternel jouisseur.

Allant jusqu'à dépenser 18 millions d'euros lors de la mise aux enchères de la collection d’art d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, Teodorin Obiang multipliait les excès. «Alcool, pute, coke» : ce sont par ces trois mots lapidaires que son ancien majordome décrit la vie de l'excentrique qui, selon lui, «retournait en Guinée-Equatoriale environ trois fois par an pour récupérer deux autres valises une fois tout l'argent dépensé». Car c'est bien l'argent de la corruption dont il est ici question : entre 2004 et 2011, ce sont près de 110 millions d'euros d'argent public de Guinée équatoriale qui se sont retrouvés sur le compte en banque personnel de Teodorin Obiang. 

La défense met en avant la thèse d'un complot. «Toute cette affaire a été montée de toutes pièces par des ennemis de notre pays. Nous irons jusqu’en Cour internationale de justice s’il le faut», affirmait ainsi l'ambassadeur équato-guinéen à l'Obs en 2015. Teodorin Obiang sera d'ailleurs absent de son procès. De nombreuses tentatives d'obstruction pour éviter ou retarder le procès ont émanées du clan Obiang, mais la ténacité des juges français aura fini par en venir à bout. 

Juger un haut dignitaire africain pour corruption : voilà qui pouvait sembler n'être qu'un pari fou. Après six ans d'enquête, c'est pourtant ce qui va se produire, à la plus grande satisfaction des associations Sherpa et Transparency International, qui sont à l'origine de cette procédure. L'accusé, lui, ne sera pas présent, et la question de la restitution des biens mal acquis ne sera pas facile à résoudre. «Il n’est pas question de renvoyer aux délinquants le produit de leurs crimes. Tant que les familles incriminées sont au pouvoir, on ne peut pas restituer les biens saisis» explique William Bourdon, avocat de Transparency International. Mais il veut tout de même se réjouir. «C'est un procès inédit, sans précédent en Europe et bien au-delà». Il ajoute que «le chapitre Obiang va se clôturer, et que d'autres vont suivre». Sont notamment visés les clans Nguesso au Congo, Bongo au Gabon ou Bozizé en Centrafrique.