France

Délit d'entrave à l'IVG : le texte «flirte dangereusement avec la création d'un délit d'opinion»

Les députés débattent dans l'hémicycle de la possibilité d'étendre le délit d'entrave à l'IVG à internet. Dans le viseur, les sites en ligne pro-vie qui proposent conseils et alternatives à l'avortement, accusés de diffuser de «fausses nouvelles».

En débat à l'Assemblée nationale ce 1er décembre, le texte prévoyant d'étendre le délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) aux sites internet accusés de diffuser de «fausses informations», a suscité de vifs échanges. Et des positions tranchées entre partisans et opposants à cette loi. Pour ses partisans, elle vise à lutter contre les sources d'informations dont l'objectif est de dissuader les femmes de recourir à l'avortement au risque d'empiéter sur la liberté d'informer et la liberté d'opinion, estiment ses détracteurs.

Le texte en débat à l'Assemblée, composé d'un unique article, propose d'étendre le délit d'entrave à l'IVG de 1993. Jusque-là, la loi ne concernait que les entraves physiques et psychologiques, exercées directement sur une femme qui envisagerait une interruption de grossesse, ou sur le personnel médical.

Il s'agirait maintenant, selon la lettre du projet de loi, de pénaliser «des allégations, indications ou présentations faussées», diffusées par «tout moyen, notamment [...] par voie électronique, de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une interruption volontaire de grossesse ou à exercer des pressions psychologiques sur les femmes».

«Nous voulons défendre un devoir que la République a donné aux femmes», a martelé Marie-George Buffet, députée communiste, militante féministe au sein de la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception, la CADAC, commettant sans doute un lapsus et voulant parler de «droit».

Selon les opposants au projet de loi, il représente un danger pour la liberté d'expression, ainsi que le principe de libre circulation des idées et des informations. Une position exprimée, entre autres par le député Les Républicains (LR), Guillaume Larrivé.

Un autre député LR, Christian Kert, a brandi la menace d'une saisine du Conseil constitutionnel en cas d'adoption d'un texte qui, selon lui, pourrait créer de facto un délit d'opinion.

Pour la députée Jacqueline Fraysse, ancienne communiste, le législateur doit trouver un équilibre entre liberté de diffusion d'informations et entrave à l'IVG, laquelle serait constituée par la diffusion de «fausses informations», qu'il appartiendrait ainsi aux magistrats de juger comme telles.

Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, estime quant à elle que le délit d'entrave à l'IVG, créé en 1993, doit être adapté «à la réalité numérique». «Il y a trente ans, des commandos [anti-IVG] s'attachaient à des grilles, a-t-elle déclaré. Aujourd'hui, c'est sur la toile que leurs héritiers continuent de mener cette bataille», a souligné la ministre, dénonçant les sites pro-vie qui «cherchent délibérément à tromper les femmes».

Dans un contexte passionné, notamment après l'irruption de la question de l'IVG dans la campagne de la primaire à droite, Alain Juppé ayant attaqué François Fillon sur ses positions, de nombreux députés Républicains ont dénoncé une atteinte à la liberté d'expression. Le texte «est contraire, je crois, à l'esprit de la loi [portée par Simone Veil en 1975] qui prévoyait une information, y compris sur les alternatives [à l'IVG]», avait ainsi déploré Bruno Retailleau, président du groupe LR au sénat, avant les débats.

La Quadrature du Net, association de défense des droits et des libertés des citoyens sur internet, souligne «une intention louable, [à savoir] faire respecter le droit à l'IVG et l'information qui y est liée», mais marque son opposition au projet de loi dont l'argumentation juridique porte atteinte à d'autres droits fondamentaux que sont la liberté d'expression et d'opinion».

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