Le ton est souvent exaspéré, parfois inquiet, parfois résigné aussi. Certains pharmaciens interrogés par RT France ne se souviennent pas qu'une telle pénurie de médicaments ait touché leur officine. Pourtant, de nombreux médicaments manquent à l'appel sur leurs étagères, certains vaccins contre la coqueluche, le DT Polio, des médicaments génériques aussi.
A Paris, le constat est sans appel : «Nous manquons de beaucoup de choses : de vaccins mais aussi de traitements anti-viraux pour le Sida, de traitements pour les malades du cancer», déclare un pharmacien à RT France.
Même souci dans une pharmacie du quartier huppé de l'Opéra à Paris. «En 25 ans de métier, je n'ai jamais vu cela. Nous devons nous battre pour chaque médicament. Nous faisons patienter les clients. On s'arrange aussi, on jongle. Les grossistes sont encombrés, ils nous fournissent au compte-goutte».
Pourtant, contactée par RT France, l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) se veut rassurante. «En ce qui concerne le vaccin contre la coqueluche héxavalent, celui qui est recommandé par les autorités sanitaires, il n'y a aucune rupture de stock. Sur d'autres vaccins anti-coqueluche à plusieurs valences (diphtérie, polio et autres), ils manquent effectivement à nos approvisionnements».
L'agence précise également avoir averti les pharmaciens par des courriers spécifiques du risque de pénurie pour certains vaccins.
Les solutions partielles à cette pénurie
Cependant, un système légal de dépannage existe qui oblige les laboratoires à fournir aux pharmacies des médicaments en urgence. Mais certains phramaciens interrogés soulignent les limites de ce système : «Ce système est long et nécessite un temps d'attente de 24h. De plus du vendredi midi au mardi matin, il est indisponible. Il est arrivé que les laboratoires refusent aussi et me renvoient au grossiste».
Là encore, l'ANSM tempère le constat fait par les professionnels de santé : «Les problèmes de rupture existent sans doute sur d'autres produits mais nous veillons, avec les laboratoires, à rendre disponibles les médicaments indispensables. Nous pouvons les contingenter, c'est à dire les réserver à certains organismes, certaines populations. Nous pouvons aussi en importer d'autres pays».
Plus largement, l’ANSM invite les professionnels de santé à faire des stocks de certains médicaments qu’ils jugent indispensables.
La mondialisation du médicament
Ce que le pharmacien français perçoit à son échelle s'explique d'abord par des phénomènes à l'échelle mondiale. D'abord il y a une nette augmentation des besoins en vaccins et médicaments émanant de pays émergents. Ensuite les principaux lieux de production des matières premières se situent justement dans ces pays. Enfin, 60% et 80% des matières actives nécessaires à la fabrication des médicaments se font désormais hors Union européenne, principalement en Inde et en Asie. Cette proportion était de 20% il y a trente ans.
Mais plus encore, l'ANSM souligne ainsi le déséquilibre croissant entre production et demande de vaccin désormais mondialisée. «C'est toute la question de la demande et de l'ajustement de la production, qui ne sont pas pas calées entre elles. Les vaccins sont long à produire, de 11 à 18 mois et ont une durée de vie peu longue. C'est un produit qui ne permet pas forcément le stockage. Il faut donc toujours produire, à flux continu», précise l'organisme public à RT France.
L'ANSM pointe également la difficulté de projetter les besoins du pays alors que la répartition est également mondialisée : «Ces sont des politiques publiques de santé qui dépassent la seule France. La conséquence est que la répartition doit se faire par pays».
En ce qui concerne spécifiquement le vaccin de la coqueluche, l'ANSM précise que des changements dans les calendriers de vaccination à l'échelle mondiale ont été opérés, ce qui a augmenté automatiquement la demande de ces vaccins coquelucheux.
Les laboratoires montrés du doigt
Cependant, plusieurs pharmaciens contactés par RT France s'interrogent sur les tensions qui semblent exister entre les laboratoires et les grossistes en médicaments dont les phramacies sont les clients directs : «Cette situation de pénurie s'est aggravée depuis deux ans. L'industrie pharmaceutique ne nous fournit aucune explication. Mais j'ai l'impression que les pharmaciens payent le prix de la guerre larvée que se livrent les industries pharmaceutiques et les grossistes en médicaments. Les laboratoires ne souhaitent pas que les grossistes exportent à l'étranger les médicaments et pour éviter cela, ils exigent des échelonnement de prévision. Or de nouveaux marchés dans des pays émergents s'ouvrent sans cesse et les grossistes y font des affaires intéressantes. Ils exportent donc ce qui était destiné initialement au marché français puis se tournent vers les laboratoires qui évidemment refusent de les fournir à nouveau pour non respect des échelonnements initiaux», analyse l'un des pharmaciens interrogés.
Un autre souligne le poids économique des laboratoires qui empêcherait, selon lui, une vraie politique du médicament en France : «Le ministre de la Santé sous Nicolas Sarkozy, Xavier Bertrand, avait tapé du poing sur la table, et avait arrangé les choses, mais cela avait duré un mois. Puis, nous étions revenus à la situation antérieure. Les industries pharmaceutiques ont un poids économique trop important pour que les autorités politiques les contrarient».
Contacté à plusieurs reprises par RT France, le laboratoire français Sanofi-Pasteur, leader mondial des vaccins, n'a pas encore répondu à nos demandes d'interview.