France

Des députés souhaitent limiter le droit à manifester

Le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur le maintien de l’ordre a été remis ce jeudi au président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. L’une des mesures préconisées crée la polémique.

Nous sommes le 26 octobre 2014. Rémi Fraisse, jeune botaniste de 21 ans, se trouve sur la ZAD (zone à défendre) de Sivens, dans le Sud-Ouest de la France. Avec d’autres activistes, il proteste contre le projet de construction d’un barrage censé irriguer les terres agricoles voisines. Des heurts éclatent avec les gendarmes et Rémi est touché par une grenade offensive. Il s’effondre. Son décès provoquera de vives critiques sur la réponse à apporter par les forces de l’ordre lors des manifestations. Une commission d’enquête parlementaire est alors confiée au député Noël Mamère qui, avec quatorze de ses collègues, est chargé de réfléchir à la question. Le fruit de leur travail a été présenté aujourd’hui au président de l’Assemblée nationale et il risque de faire jaser.

La controversée mesure d’interdiction de manifester

Parmi les vingt-trois points que comptent le rapport, un en particulier est sous le feu des critiques. Une interdiction pure et simple de manifester pour des "individus connus pour faits de violence" à l’occasion d'une manifestation. La disposition se matérialiserait en une interdiction de pénétrer "pendant une durée très précise au sein d’un périmètre également déterminé".

Jusqu’ici rien de nouveau sous le soleil. La justice permet déjà, par le biais d’une peine complémentaire, d’interdire de rassemblement une personne coupable de dégradations ou de violences lors de précédentes manifestations. L'incriminé peut également se voir interdit de manifester dans des périmètres définis pour une durée maximale de trois ans. Mais ce type de décision appartient au juge. La commission parlementaire souhaite que ces interdictions soit dorénavant prises par arrêté préfectoral. Une voie administrative et non juridique.

Le député PS Pascal Popelin défend cette disposition et estime que "cela n’a rien de révolutionnaire" et rappelle que "le droit allemand ou belge prévoir ce type de mesure".

Noël Mamère dit avoir été piégé

Fait rare, le propre président de la commission, Noël Mamère, a voté contre le texte. Il est d’ailleurs le seul avec la communiste Marie-Georges Buffet, les treize autres membres ayant tous voté pour. Le député écologiste voit rouge. Il a déclaré aux Inrocks que le but premier était "d’adapter le maintien de l’ordre public au droit à manifester". Il considère le résultat final à l’opposé : "elle cherche finalement à adapter le droit à manifester au maintien de l’ordre public".

Drame de Sivens, récentes énucléations dues à des tirs de flash-ball, l’arsenal des forces de l’ordre était au coeur des préoccupations de la commission. Au final, l’utilisation des flash-ball et de lanceurs de balles de défense est maintenue. Mais sous certaines conditions. Leur usage sera restreint "aux seules forces mobiles et aux forces dûment formées à son emploi dans le contexte particulier du maintien de l’ordre". Plutôt flou.

La commission préconise également la création d’une "task force" placée sous les ordres du préfet, mobilisable rapidement et spécialisée dans le maintien de l’ordre. Mais également de réviser la traditionnelle déclaration préalable de manifestation qui, jusqu’ici, suffit à la tenue d’un rassemblement.

Se passer de la décision d'un juge comme... pour la loi sur le renseignement

La mesure d’interdiction administrative rappelle les dispositions contenues dans le projet de loi sur le renseignement. Le texte, qui sera débattu au Palais du Luxembourg à partir du 2 juin, fait aussi polémique. Les moyens de surveillance qui pourront être mis en place comme les interceptions de données ou la surveillance d’internet seront soumis à l’aval du Premier ministre sans intervention de la justice. Pouvoir priver un individu de son droit à manifester sous simple décision administrative serait un coup de plus porté à l'autorité judiciaire.

Le syndicat de la magistrature s’est d'ailleurs insurgé contre le rapport. Dans un communiqué il a dénoncé "une interdiction de manifester prononcée administrativement, sans débat contradictoire avec un juge".

Un manque de contrôle qu'avait déjà fustigé de nombreuses associations, acteurs du numériques ou magistrats lors du débat concernant la loi sur le renseignement. Le célèbre juge anti-terroriste, Marc Trévidic avait même qualifié en avril dernier le texte "d’arme redoutable entre de mauvaises mains". Si le gouvernement tente de rassurer, les inquiétudes en ce qui concernent les libertés civiles se multiplient dans l’hexagone.