Et si la Société Générale n'avait pas pu ignorer les agissements de l'ex-trader Jérôme Kerviel ?
C'est en tout cas ce qui ressort des dépositions de la commandante de police chargée de l’enquête sur les pertes de la Société Générale au début de 2008. Le site Médiapart vient de publier des extraits des déclarations de Nathalie Le Roy, auditionnée le 9 avril par le juge d’instruction Roger Le Loire.
La fonctionnaire de police s'en prend directement à la version de la banque. Jusqu'à présent, celle-ci était simple : la banque aurait été la victime d’un trader agissant sans concertation et qui a pris des positions qui ont coûté 4,9 milliards d’euros à la banque.
Seulement l'ancien trader a toujours clamé que la Société générale savait qu'il prenait des positions très dangereuses et non couvertes. Jérôme Kerviel avait été au final condamné à cinq ans d’emprisonnement, dont trois ferme, pour abus de confiance, manipulations informatiques, faux et usage de faux. Et si la banque a toujours nié avoir été au courant, elle avait au final admis des négligences et avoir failli sur le plan des contrôles.
La fin de la thèse du trader solitaire?
«la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions prises par ce dernier».
Selon Nathalie le Roy, «l’activité de Jérôme Kerviel était connue». Elle fait état ainsi d'un mail qu'un ancien salarié aurait envoyé aux responsables de la banque pour les en avertir. Or pour avoir accès à ce mail, la fonctionnaire de police était passée par la voie d’une réquisition judiciaire qui était restée lettre morte.
Exprimant le sentiment d’avoir été «instrumentalisée par la Société générale», la commandante de police évoque une enquête influencée par la banque qui lui a adressé «les personnes qu’elle [jugeait] bon d’être entendues».
Plus encore, la fonctionnaire aurait décrit une Société Générale qui impose sa version, choisit les interlocuteurs mais fait aussi pression sur les témoins. Nathalie Le Roy aurait estimé aussi que le Parquet s’en est tenu à la version de la banque et aurait enterré le dossier. Selon l'auteure de l'enquête de Médiapart, Martine Orange «il y a une volonté du parquet de ne pas rouvrir ce dossier».
Dans un communiqué laconique, la Société Générale s'est étonnée des déclarations de la policière et rappelle que Jérôme Kerviel «avait lui-même déclaré aux policiers qui l'interrogeaient en janvier 2008 qu'il avait agi seul et à l'insu de sa hiérarchie».
Vers une affaire Société Générale?
Joint par RT France, Julien Bayou, porte-parole de EELV (Europe Ecologie les Verts) et soutien de Jérôme Kerviel estime que «Cette histoire est une bombe ; il n'y a plus désormais une affaire Kerviel mais une affaire Société Générale». Il ajoute: «J'ai saisi le Ministre de l'Economie Michel Sapin afin qu'il rende public un rapport interne de Bercy qui estimait aussi que le cadeau fiscal de 2,2 milliards d'euros fait à la Société Générale n'aurait pas dû se faire. Je n'excuse en rien Jérôme Kerviel qui a pris des positions dangereuses mais cette banque l'a laissé engager sur des spéculations plus d'argent qu'elle n'en avait en fonds propres, elle est donc dangereuse pour notre économie, plus encore pour l'économie mondiale».
La publication de cette enquête a fait aussi réagir quelques hommes politiques dont le député PS Yann Galut qui a demandé la création d'une commission d'enquête parlementaire. Il souhaite également que le ministère de la Justice accorde la révision du procès Kerviel et exige aussi de la banque le remboursement des 2,2 milliards d'euros.
Ces nouveaux éléments risquent de peser sur le nouveau procès civil qui doit se tenir du 20 au 22 janvier 2016 pour établir la répartition des responsabilités dans cette affaire.
En attendant, la seule réaction du principal intéressé, Jérôme Kerviel, a été la publication sur les réseaux sociaux d'un extrait du film Les Tontons flingueurs.