Une atmosphère de barnum médiatique règne mercredi matin rue Saint-Guillaume. Aux alentours de 10h30, il se trouve presque autant de journalistes que d’étudiants devant les portes de Science Po. Caméras, micros et calepins en mains, des hordes de reporters guettent la moindre fille voilée. Il faut dire que le «Hijab Day» déchaîne les passions. Organisé par des étudiants se revendiquant «féministes, anti-paternalistes, humanistes ou anti-racistes», l’événement provoque un déluge de joutes verbales sur la toile. A l’heure où la rue Saint-Guillaume s’agite, il est en tête des sujets discutés sur Twitter. Que ce soit sur la toile ou sur le parvis de l’école, les réactions oscillent entre soutien, détachement et exaspération.
Féministes contre… féministes
Les organisateurs ont un double objectif. Selon eux, le fait de revêtir un voile, «même pour une petite journée», permettrait de mieux comprendre «l’expérience de stigmatisation» vécue «par de nombreuses femmes voilées en France».
L’autre aspect de la démarche peut surprendre. Voile coloré sur la tête, mine jouvencelle, une étudiante de première année ne se démonte pas devant les nombreux micros : «C’est également une démarche pour les femmes. On dispose de notre corps comme on l’entend. Si une fille décide de porter le voile sans qu’on lui impose, c’est son droit.» Dégainer l’argument féministe pour justifier le port du voile ; un contre-pied qui en a bousculé certaines. A commencer par Lydia Guirous. L’étoile montante des Républicains, féministe revendiquée, a appelé à refuser ce qu'elle qualifie de «régression».
A quelques mètres de là, un groupe de jeunes filles tirent sur leurs cigarettes. Entre deux bouffées de fumée, elles devisent sur le mouvement. «C’est plutôt une bonne initiative, chacun fait ce qu’il veut après tout !», lance l’une d’entre elles. «Tant que personne ne les force, je n’y vois pas d'inconvénient», lui rétorque sa camarade.
Victoire, elle, ne goûte que peu l’initiative : «Je suis choquée et je me sens agressée en tant que femme, c’est une honte !»
«Cirque médiatique»
Grégory et Gabriel, étudiants en première année, sont tout près de la scène. Mais ils la regardent avec distance. «Les élèves de Science Po savent très bien qu’ils ont l’attention des médias et ils en profitent. Regardez le nombre de journalistes autour de vous. Tout cela participe d’un certain cirque médiatique», analyse Grégory. Gabriel est du même avis, s’il se dit «plutôt d’accord» avec l’esprit du mouvement, il regrette «l’agitation» qui l’entoure.
L’opposition au «Hijab Day» peut prendre plusieurs visages. D’un côté, Thomas Laval, le président de l’association étudiante Front National à Sciences Po. Le jeune homme, chemise et veste de costume sur les épaules, semble déjà rompu à l’exercice de la communication. Il dénonce bien évidemment l’événement : «On est dans un délire petit-bourgeois parisien. Le voile n’a pas sa place dans un lieu qui devrait être un sanctuaire de la laïcité. Je leur rappelle par ailleurs qu’en Iran, certaines femmes sont attaquées à l’acide quand elles sont "mal voilées".» Thomas Laval promet l’organisation sous peu d’un débat concernant le voile.
A quelques mètres, Maxime attire toute l’attention. Robe moulante, faux seins et talons hauts, l’étudiant en cinquième année enchaîne les interviews à un rythme effréné. S’il a revêtu pareil accoutrement, c’est pour une bonne raison. Avec quelques camarades, ils ont organisé leur propre action : le «Bikini/jupe/robe/whatever day».
Selon Maxime, le premier événement Facebook du «Hijab Day», depuis supprimé, appelait à «s’essayer à la décence». «J’ai trouvé cela un peu obscurantiste. Je n’ai rien contre la liberté de porter le voile. Mais je suis contre tout prosélytisme religieux et l’incitation à porter telle ou telle tenue», explique l’étudiant. Lui et ses camarades ont donc proposé aux élèves de venir «comme ils le souhaitent». Mais autour de nous, plus de chignons que de voiles… et encore moins de bikinis.