France

Le gouvernement s’attaque au «complotisme» et récolte les moqueries

Au sommet de l’Etat, on a décidé de tourner en ridicule les théories «conspirationnistes». Le gouvernement a lancé une nouvelle opération humoristique à destination des jeunes diffusée sur les réseaux sociaux. Elle est loin de faire l’unanimité.

Décidément, en ce moment, le «complotisme» a les faveurs de la presse et de l’Etat. Alors que les émissions se multiplient sur le sujet depuis des semaines, le gouvernement a décidé de s’attaquer au phénomène. Ciblant en premier lieu les jeunes, sa nouvelle campagne a débuté jeudi avec une courte vidéo d’environ 3 minutes visible notamment sur le site dédié www.ontemanipule.fr.

Communication 2.0

Toute la journée de jeudi, l’Elysée a mobilisé ses comptes sur les réseaux sociaux pour annoncer sa nouvelle croisade. Sur Twitter, ce matin, le gouvernement promettait de «réveler la vérité» et donnait rendez-vous sur son nouveau compte Snapchat.

C’est sur le réseaux de partage de photos et vidéos à durée limitées qu’un teaser a été publié un peu plus tard. Il promettait des «révélations exclusives», image parodique d’une réunion du «Nouvel ordre mondial» à l’appui.

Sur le compte Instagram du gouvernement, un extrait de la vidéo finale était disponible quelques heures avant sa diffusion.

Cette dernière met en scène l’humoriste Kévin Razy, connu pour son appartenance au collectif Studio Bagel du groupe Canal +. Il avait fait parler de lui à la suite des attentats du 13 novembre en publiant une vidéo s’en prenant à la tentation de l’amalgame à laquelle, selon lui, la presse avait succombée.

Le gouvernement ne s'embarrasse pas de subtilité et joue à fond la carte du cliché, quitte à sombrer un peu dans le ridicule. Pendant les environ 3 minutes que dure la vidéo, on peut voir l’humoriste camper deux personnages. L’un s’exprimant avec l’accent typique du «banlieusard» et débitant avec crédulité ses théories : attentats du 13 novembre organisés par les services secrets ou la supposée société secrète des Illuminati, comédienne supposément payée pour pleurer aux abords des tueries de Charlie Hebdo et du Bataclan, hommes politiques extra-terrestres «reptiliens» ou encore mensonges de la Nasa sur les premiers pas de l'homme sur la Lune. Son interlocuteur, un jeune homme s’exprimant calmement dans un bon français lui explique avec un ton de maître d’école qu’il se fourvoie et qu’il ne faut pas aller chercher ses informations sur «wikicomplot».

La vidéo termine sur un Kévin Razy habillé en maître d’un ordre satanique, yeux rouges et langue de serpent en prime. Vous avez dit finesse ?

Un site internet en prime

Mais le Service d’information du gouvernement est allé plus loin. Il a mis en ligne un site dédié. Sur www.ontemanipule.fr, le gouvernement propose de découvrir «les bons réflexes à avoir pour garder son sens critique et prendre du recul par rapport aux informations qui circulent». En somme, il propose de lutter contre ceux qui prétendent qu’«Etats, institutions et médias déploieraient des efforts systématiques pour tromper et manipuler les citoyens».

En plus de la vidéo mettant en scène Kévin Razy, le gouvernement propose aux lecteurs une définition de la théorie du complot. Mais ce n’est pas tout ! La boîte à outil anti-conspiration de l’Elysée est pleine de ressources.

Ainsi, le site a répertorié «les sept commandements de la théorie du complot« et met à disposition des internautes un «détecteur de théorie du complot» !

A l’instar de la vidéo de Kévin Razy, le design du site fait dans le cliché à tout va. Pêle-mêle, on y trouve les images d’une base secrète sur la Lune, d’un «reptilien» ou encore de symboles «Illuminati». On peut même apercevoir un dessin largement inspiré du célèbre poster recouvrant le mur du bureau de l’agent Fox Mulder dans X-Files.

Afin de remplir sa mission de service public, le gouvernement propose une liste de «liens utiles» à consulter. Histoire de pouvoir «trouver une information fiable et de qualité sur internet» ou encore de «signaler les contenus illicites trouvés sur internet.»

Les internautes s’en donnent à coeur joie

Le Service d’information du gouvernement justifie son action par le danger que courrait la démocratie : «En instillant l’idée que des sociétés secrètes manipulent l’opinion pour conserver ou prendre le pouvoir, et en désignant à la vindicte publique des populations ou des individus comme responsables de ces manipulations, les théories du complot favorisent la perte de confiance envers les institutions, les médias, la science, et au bout du compte, la démocratie.»

L’organe étatique qui dépend de Matignon dit viser en priorité les jeunes : «L’avènement du multi-écrans, la facilité d’accès sur Internet à une multitude de contenus, de sources, créent une confusion dans laquelle il est parfois difficile de distinguer le vrai du faux, et d’exercer son sens critique. Dans ce contexte, le Sig s’est donné pour objectif de sensibiliser et encourager les internautes, notamment ceux âgés de 15 et 25 ans, à décrypter les discours complotistes, de manière ludique, impactante et durable.»

Les réactions à cette campagne sont, pour le moment, plus que mitigées. Si certains préfèrent l’humour et les moqueries, d’autres dénoncent les clichés utilisés et le manque de subtilité. Petit florilège de réactions :

Cette campagne intervient un an après les déclarations de la ministre de l’Education nationale qui avait appelé les médias à «prendre une part de responsabilité dans ce qu’ils rapportent.» Najat Vallaud-Belkacem faisait référence aux différentes théories circulant à la suite de l’attentat de Charlie Hebdo.

Le contexte de défiance est de plus en plus marqué vis à vis des médias et des politiques. Une récente étude du journal La Croix révèle que 64% des Français pensent que les journalistes ne sont pas indépendants du pouvoir. Quant à François Hollande et Manuel Valls, leurs côtes de popularité respectives ne cessent de chuter. Selon les derniers sondages, seuls 21% des citoyens font confiance au président. C’est à peine mieux pour le Premier ministre avec 27%.