La fille aînée de l’Eglise serait-elle devenue dangereuse pour ses enfants ? S’il apparaît exagéré de dresser pareil constat, les chiffres sont éloquents. Le 20 janvier, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, lâchait une statistique préoccupante : les atteintes aux sites chrétiens (églises et sépultures) ont connu une hausse de 20% en un an.
Pire, elles augmentent de façon exponentielle. De 275 dégradations ou vols en 2008, nous sommes passés à 807 l’an dernier. Elles représentent plus de 80% du total de ce type de délit, toutes religions confondues. Il est vrai que le patrimoine chrétien est de loin de plus important dans l’Hexagone, avec 45 000 églises sans compter les lieux de culte protestants et orthodoxes. A titre de comparaison, il y a environ 2 500 mosquées et 500 synagogues dans le pays.
Les attaques de personnes non recensées
A la différence des actes islamophobes et antisémites, les agressions visant des croyants de confession chrétienne ne sont pas recensées. Il est donc impossible de les situer face aux 429 actes antimusulmans et 808 actes antisémites de 2015, qui sont majoritairement des menaces, voire des violences sur des personnes.
L’Eglise catholique française n’a d’ailleurs jamais demandé à ce que les attaques physiques sur les chrétiens soient recensées. Et contrairement au Service de protection de la communauté juive (SPCJ) ou de l'Observatoire national contre l'islamophobie au Conseil français du culte musulman (CFCM), la Conférence des évêques de France (CEF) ne s'est pas dotée d'instance comptabilisant, en lien avec le ministère de l'Intérieur, les plaintes et autres mains courantes.
Monseigneur Olivier Ribadeau Dumas, porte-parole de la CEF, justifie ce choix par le refus de l’Eglise de céder à la tentation victimaire : «Nous n'avons pas d'observatoire et ne sommes pas convaincus de l'intérêt d'en avoir un. Un cambriolage n'est pas une profanation». Pour le prélat, «le catholicisme ne se situe pas dans une attitude victimaire, ce n'est pas son ADN».
La résistance s’organise
Si la position officielle des institutions catholiques semble ne pas évoluer, les signes d’une certaine inquiétude commencent à se manifester. L’Eglise appelle notamment ses diocèses et paroisses à porter plainte «systématiquement» en cas de dégradations. Elle souhaite des «condamnations publiques». Le Père Ribadeau Dumas se montre ferme : «On ne laisse rien passer».
Certains diocèses commencent à réagir vigoureusement aux vols qui sont vécus comme des profanations. Notamment, ceux des fameux ciboires contenant les hosties consacrées qui représentent le corps du Christ.
L’abbé blogueur, Pierre-Hervé Grosjean, qualifie ces actes de christianophobes : «Quand on touche au Saint-Sacrement, on touche à ce qui est le plus sacré pour un catholique».
Le web en alerte
Plusieurs sites internet traditionalistes dénoncent le silence qui entourerait la christianophobie dans l’Hexagone. C’est le cas de celui de Daniel Hamiche, rédacteur en chef de l’Observatoire de la christianophobie : «On est dans une espèce d'omerta. On peut comprendre que des responsables disent ne pas vouloir entrer dans une concurrence victimaire mais la question n'est pas là, elle est de donner des informations».
Chaque mois, le site dirigé par le traditionaliste Guillaume de Thieulloy publie une synthèse des actes commis contre des lieux chrétiens. Paradoxalement, son compte pour 2015 (272) est très inférieur à celui du ministère de l’Intérieur.
Pour le politologue du catholicisme, Yann Raison du Cleuziou, la mouvance traditionaliste juge l’Eglise trop faible et pense devoir défendre ses valeurs : «Il y a dans cette stratégie un enjeu interne à la sphère catholique : il s'agit de mobiliser des troupes en se présentant comme une minorité à défendre tout en critiquant l'Eglise institutionnelle, agenouillée devant le monde et qui ne réagit pas quand Jésus est blasphémé».
L’historien du christianisme contemporain Olivier Landron constate une réaction de repli chez certains chrétiens de France : «La présence en France d'un islam identitaire amène une partie des catholiques à retrouver des positionnements identitaires, notamment chez ceux qui, à tort ou à raison, ont le sentiment d'être devenus minoritaires dans une société très laïcisée».