Il y a des comparaisons qui, à force de revenir, finissent par faire sourire. Voilà François Bayrou, Premier ministre sans majorité, qui entame son grand récit budgétaire dans les colonnes du Journal du Dimanche le 4 mai. Le ton est grave, l’image soignée : « La France est comme un paquebot de croisière, le ventre alourdi de dettes, pris dans les glaces ». Une métaphore dramatique pour un diagnostic connu de tous. Mais c’est surtout la mise en scène qui frappe. Comme si le Béarnais, dans l’urgence, s’était soudainement senti investi d’un rôle historique.
Le parallèle avec le général de Gaulle n’a pas tardé à surgir dans les médias, à commencer par Le Point, qui évoque un Bayrou « messianique ». L'homme, sous ses airs modestes, semble vouloir incarner la parole que personne d’autre n’ose porter. Pourtant, entre le chef d’État et le redressement de 1958 et le chef du gouvernement de 2025, il y a plus qu’un écart de stature : il y a un monde. Car si Bayrou parle d’autorité, de responsabilité et d’effort national, il le fait à la tête d’un exécutif fragile, dépendant d’alliances précaires et des injonctions venues de Bruxelles.
Un référendum pour reprendre la main
Là où les choses prennent un tour inédit, c’est dans la proposition d’un référendum sur le budget. Une idée évoquée de nouveau par François Bayrou dans le même entretien, censée « redonner la parole aux citoyens » sur la trajectoire financière du pays. L’annonce a immédiatement fait réagir la presse étrangère. Pour la Frankfurter Allgemeine Zeitung, il s’agit d’un « aveu de faiblesse » face à un Parlement divisé. Le journal souligne que les extrêmes dominent désormais l’hémicycle et rendent tout compromis difficile.
Mais surtout, l’initiative pose un problème de fond : d’un point de vue constitutionnel, seul le président de la République peut convoquer un référendum. Politico rappelle que Bayrou, s’il veut vraiment aller au bout de cette idée, devra convaincre Emmanuel Macron — et obtenir un soutien politique peu probable. Le média bruxellois Le Soir parle d’un « geste pour l’image » plus que d’une mesure applicable. La droite parlementaire n’y croit pas non plus : Laurent Wauquiez a dénoncé un manque de courage dans une tentative de détourner l’attention.
Une austérité camouflée sous un vernis démocratique
Pendant ce temps, sur le terrain social, la colère monte. Le 6 mai, la CFDT et les associations du collectif « Pacte du pouvoir de vivre » ont tiré la sonnette d’alarme. Elles dénoncent un plan de rigueur sans précédent : 40 milliards d’euros d’économies prévues dès 2026. Marylise Léon, secrétaire générale du syndicat, a été claire : « Peut-on vraiment parler de sérieux budgétaire quand on coupe dans la santé, l’éducation et la transition écologique ? ».
La contestation ne porte pas sur la nécessité de réduire le déficit, mais sur la manière. Derrière l’enrobage institutionnel du référendum, c’est une politique d’austérité classique qui se dessine, appliquée dans un contexte de grande fragilité sociale. La promesse de démocratie participative sonne comme une tentative d’éteindre l’incendie, alors même que les professionnels et les acteurs de terrain se disent ignorés.
Le retour de la solennité, sans la souveraineté
Le projet de François Bayrou, malgré son habillage républicain, bute sur un paradoxe : vouloir réaffirmer la souveraineté budgétaire tout en restant enfermé dans un cadre fixé par d’autres. Les règles de Bruxelles, la pression des agences de notation et les contraintes de la BCE limitent toute marge réelle de manœuvre. Et c’est bien là que le parallèle avec De Gaulle se casse. Car si le général avait imposé un tournant dans un pays en ruines, Bayrou agit dans un système verrouillé, sans levier ni légitimité électorale directe.
À défaut de pouvoir réformer, il parle. Et dans un pays où les gouvernements passent les uns après les autres sans convaincre, où les institutions s’usent, ce verbe solennel n’est plus suffisant. L’idée d’un référendum aurait pu ouvrir un vrai débat démocratique. Mais en l’état, cela ressemble davantage à un outil de communication qu’à une réponse politique. Une sortie par le haut… qui évite surtout d’assumer l’échec du pouvoir actuel.