En France, la déchéance de nationalité est devenue un outil dans la stratégie sécuritaire du gouvernement. Prévue par l’article 25 du Code civil, elle permet de retirer la nationalité française à un individu reconnu coupable de crimes graves, notamment d'actes de terrorisme. Cette mesure ne s’applique cependant qu’aux binationaux afin d’éviter l’apatridie. En 2024, 41 personnes ont été déchues de leur nationalité, selon une enquête publiée le 13 avril par le média français Les Jours. C’est un record historique depuis la mise en place de cette disposition.
La majorité des personnes concernées sont issues de l’immigration maghrébine. Selon l'enquête, les Marocains sont les plus particulièrement visés, comme l’illustre le cas de Karim Kinali, Franco-Marocain condamné en 2019 pour avoir projeté un attentat, il a été déchu de sa nationalité française en 2023. Ce ciblage disproportionné a conduit certains médias à parler d’une application « inégalitaire » de la mesure. Les personnes d’origine algérienne et tunisienne figurent également en grand nombre parmi les individus déchus, mettant en lumière une dimension ethno-sélective du dispositif.
Un possible usage politique
Depuis les attentats de 2015, la loi s’est durcie. D'abord pensée pour sanctionner les terroristes, la déchéance s'étend désormais à des profils plus politiques. En mars 2024, deux ministres français – Patrick Mignola et François-Noël Buffet – ont publiquement appelé à retirer la nationalité à Rima Hassan, eurodéputée de La France insoumise, pour des propos tenus sur Sud Radio, jugés comme une apologie du terrorisme. Lors de cette intervention, Rima Hassan avait déclaré que « le Hamas a une action légitime du point de vue du droit international », des propos qui ont immédiatement suscité la polémique et été interprétés par l’exécutif comme une prise de position en faveur d’un groupe classé terroriste par la France. Aucune condamnation n’a été prononcée à son encontre. Les Jours évoquent une « frénésie silencieuse » autour de l’usage de cette mesure, soulignant l’emballement politique qu’elle suscite.
Une pratique partagée en Europe
La France n’est pas seule à suivre cette voie. Le média Afrik rapporte que les Pays-Bas ont également déchu de leur nationalité plusieurs binationaux néerlando-marocains, parfois sur la base de simples rapports des services de renseignement. Certains d’entre eux ont ensuite été réintégrés, les groupes auxquels ils étaient affiliés n’étant pas officiellement classés comme terroristes au moment des faits.
Face à cette montée en puissance, des voix s’élèvent. En 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a validé la déchéance infligée à cinq Franco-Marocains condamnés en 2007, arguant qu’ils pouvaient cependant rester en France sous statut précaire. Mais cette jurisprudence ne dissipe pas les critiques sur le caractère discriminatoire de la mesure, d’autant plus que beaucoup de ces personnes ont grandi en France, y travaillent et y élèvent leurs enfants.
Malgré ces réserves, le gouvernement français persiste. Avec 26 décrets signés par Bruno Retailleau depuis septembre 2024, contre 11 pour son prédécesseur Gérald Darmanin en 2023, la dynamique est claire: la déchéance devient un outil politique autant que juridique. Une tendance qui interroge sur les limites entre sécurité nationale et atteinte aux droits fondamentaux.