«La Russie recourt au mensonge et à la manipulation de nos opinions publiques», a accusé le 2 avril le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, lors d’une conférence de presse avec son homologue américain, Antony Blinken. «Elle finance des ingérences, promeut des faux médias», a-t-il ajouté.
«Nous serons déterminés en Europe à contrer cette propagande […] la France proposera d’ailleurs prochainement un régime de sanctions dédiées à ceux qui soutiennent les entreprises de désinformation et de déstabilisation de notre pays et de l’ensemble des Européens», a-t-il annoncé, aux côtés de son invité impassible, sans donner de précisions.
Les réseaux sociaux dans le collimateur de Paris
Depuis plusieurs mois, les autorités françaises s’adonnent à une nouvelle charge contre la Russie, l’accusant d’être impliquée dans «l’amplification artificielle» de polémiques qui auraient écorné l’image de la France.
Ces accusations coïncident avec un accroissement de tensions entre la France et la Russie, au moins depuis la mi-janvier et l'annonce de la livraison de 40 missiles Scalp supplémentaires à Kiev. Depuis, Moscou a dénoncé l'implication croissante de Paris en Ukraine et l'Élysée a multiplié les déclarations, refusant notamment d'exclure un envoi de troupes occidentales en Ukraine, accroissant les tensions entre les deux pays.
S’appuyant sur un rapport publié en février dernier par Viginum, l’organisme français supposé lutter contre les ingérences numériques étrangères, le Quai d’Orsay avait accusé Moscou d’une «nouvelle opération d’ingérence numérique russe contre la France», via une «amplification artificielle» de certaines informations sur les réseaux sociaux. On retrouve notamment le cas des étoiles de David, taguées au pochoir fin octobre en région parisienne. Le rapport ciblait aussi une vingtaine de chaînes Telegram, censurées depuis. Leur tort : être des sources du portail «pravda-fr.com».
Un épisode qui fait d’ailleurs partie des prétextes du camp présidentiel à l’Assemblée pour présenter une proposition de loi visant à «prévenir les ingérences étrangères» en autorisant, notamment, les services de renseignement à recourir à des moyens pour l’heure réservés à l’antiterrorisme, comme la surveillance algorithmique.
Même rengaine lors de la polémique autour des punaises de lit, également survenue à l’automne 2023. Suite au tollé suscité par la diffusion de vidéos de ces insectes dans les transports en commun parisiens, à quelques mois des JO, le gouvernement français était allé jusqu'à pointer du doigt la Russie, l’accusant d’avoir «amplifié» la psychose sur les réseaux sociaux.
La version du gouvernement français, nouveau baromètre de l’information autorisée ?
Fin janvier, le ministère français des Armées avait à son tour revendiqué avoir identifié une «manœuvre coordonnée de la Russie» visant à «relayer et amplifier» des «fausses informations». Des accusations portées notamment à l’encontre d’agences de presse russes sur la seule base qu’elles citaient des déclarations de la Défense russe sur l’élimination de «mercenaires français» mi-janvier en Ukraine, une présence que dément Paris.
Une version officielle française qu’a d’ailleurs brandie Stéphane Séjourné le 2 avril comme motif au futur régime de sanctions. Le ministre français a ainsi évoqué, parmi ses accusations à l’encontre de la Russie, le fait qu’elle «accuse l’Ukraine et l’Europe de crimes commis par d’autres». Référence au fait que Moscou n’entend pas arrêter son enquête sur l’attentat qui a frappé le Crocus City Hall le 22 mars à la seule revendication de l’État islamique.
Depuis plusieurs années, l'information russe dérange Paris
Ce n'est bien sûr pas la première tentative française à l'encontre de médias russes. Les autorités européennes ont immédiatement interdit de diffusion sur le territoire de l’UE les médias publics russes Sputnik et RT «et leurs filiales», les accusant de faire la «propagande» des autorités russes, dans la foulée du conflit en Ukraine. Une mesure que les États-Unis n'ont pas prise, en vertu du premier amendement garantissant la liberté d'expression.
Suite aux trains successifs de nouvelles sanctions européennes, Bercy était parvenu en avril 2023 à couler RT France en gelant les comptes bancaires de la chaîne, précipitant au chômage près d'une centaine de salariés et une cinquantaine de journalistes. Ceux-ci n’avaient pourtant jamais été épinglés pour une quelconque «fake-news», en dépit des accusations des soutiens et ministres d’Emmanuel Macron.