Eric Dupond-Moretti, garde des Sceaux en exercice, sera assis sur le banc des prévenus d'un tribunal, accusé de conflits d'intérêts dans le cadre de ses fonctions, à compter de ce 6 novembre. Le procès doit durer dix jours.
L'audience devant la Cour de justice de la République (CJR), seule habilitée à juger des membres du gouvernement pour des faits commis dans l'exercice de leurs fonctions, doit s'ouvrir à 13h GMT au palais de justice de Paris.
Eric Dupond-Moretti, 62 ans, dont 36 comme avocat, est «serein» et a «hâte» de s'expliquer, selon son entourage. L'ancien ténor du barreau à la forte carrure, réputé pour ses coups de gueule, doit faire une déclaration liminaire en fin d'après-midi.
L'ex-avocat a malgré ses ennuis judiciaires gardé la confiance du président de la République Emmanuel Macron. La Première ministre Elisabeth Borne lui a exprimé ce 6 novembre «toute sa confiance» en évoquant la «présomption d'innocence».
Le temps de l'audience, prévue jusqu'au 16 novembre, il restera ministre comme si de rien n'était, ou presque : des mesures seront prises «afin d'assurer le bon fonctionnement des pouvoirs publics et la continuité de l'Etat», a précisé une source gouvernementale.
«Il faudra qu'il ait le temps nécessaire pour se défendre», a justifié Elisabeth Borne. Et d'ajouter : «L'organisation est en place pour que le ministère continue à tourner.»
S'il est reconnu coupable de «prise illégale d'intérêts», il encourt cinq ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende, et une peine complémentaire d'inéligibilité et d'interdiction d'exercer une fonction publique. Son départ du gouvernement, où il a été nommé en juillet 2020, serait alors inévitable.
Enquêtes administratives contre des magistrats
L'ex-avocat, redoutable plaideur aux quelque 140 acquittements qui lui ont valu le surnom d'«Acquittator», se dit «innocent» et répète n'avoir fait que suivre «les recommandations» de son ministère en lançant des enquêtes administratives contre quatre magistrats avec qui il avait eu des différends quand il était avocat.
Ce dossier inédit débute fin juin 2020, en marge de l'affaire de corruption dite «Paul Bismuth» visant l'ancien président Nicolas Sarkozy, quand l'hebdomadaire Le Point révèle que le parquet national financier (PNF) a fait éplucher les factures téléphoniques de plusieurs avocats, dont Eric Dupond-Moretti, pour débusquer une éventuelle taupe qui aurait informé Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu'ils étaient sur écoute.
Eric Dupond-Moretti, ami très proche de Me Herzog, dénonce une «enquête barbouzarde». «On a basculé dans la République des juges», s'insurge celui qui est alors l'un des avocats les plus médiatiques du pays, avant de porter plainte.
La garde des Sceaux d'alors, Nicole Belloubet, avait demandé une «inspection de fonctionnement». Devenu ministre, Eric Dupond-Moretti avait ensuite ordonné une enquête administrative contre deux magistrats et la cheffe du PNF pour déterminer d'éventuelles fautes individuelles.
Procès «tronqué»
Pendant l'enquête, Eric Dupond-Moretti, qui a toujours entretenu des relations rugueuses avec les magistrats, a dénoncé une instruction «biaisée» visant à «salir la réputation d'un ancien avocat» et à nourrir son procès en «illégitimité à occuper les fonctions de garde des Sceaux».
Une vingtaine de témoins se succéderont à la barre au procès, dont l'ancien Premier ministre Jean Castex et Nicole Belloubet.
«Ça laisse planer une suspicion»
La CJR est une juridiction mi-juridique mi-politique, composée de trois magistrats de la Cour de cassation et de 12 parlementaires de tous bords, régulièrement critiquée pour la clémence de ces jugements.
Des voix se sont élevées dans l'opposition pour critiquer le maintien du ministre à son poste durant ce procès. Il est le ministre de «tutelle des magistrats», le «ministre d'une partie des députés qui vont le juger», et l'avocat général qui va requérir contre lui «doit toute sa carrière» au camp du président Macron, a fait valoir le 5 novembre sur Radio J le patron du Parti socialiste Olivier Faure, craignant un procès «largement tronqué».
«La journée [il va] être jugé et puis il revient à son bureau le soir traiter des affaires de la justice»... «ça laisse planer une suspicion», a regretté le député Sébastien Chenu, du Rassemblement national.