France

Avec l’article 40, la majorité a eu raison de la proposition de loi du groupe Liot sur les retraites

Lors d’une séance houleuse à l’Assemblée, le groupe Liot a retiré sa proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites. En cause, le recours par la majorité à l’article 40 de la Constitution pour rejeter les dispositions phares du texte.

Après l’indignation, l’abattement. «Il ne reste plus rien de notre texte. Par conséquent, nous n’allons pas nous ridiculiser à poursuivre ce débat», a déploré Bertrand Pancher, ce 8 juin à 11h45 devant la représentation nationale. Député du groupe Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) et coauteur du projet de loi visant à revenir sur la réforme des retraites, il a annoncé par ses mots le retrait du texte.

«Vous êtes devenus complètement fous !», a lancé Charles de Courson à la tribune du Palais-Bourbon, plus tôt dans la matinée. La raison du courroux du président du groupe Liot : le rejet en bloc de dizaines d’amendements par la présidente de l’Assemblée nationale, empêchant de ce fait qu’ils soient débattus au sein de l’hémicycle.

Yaël Braun-Pivet a en effet déclaré le 7 juin au soir «l’irrecevabilité financière» des 53 amendements de rétablissement de l’article 1er de la proposition de loi présentée lors de la niche parlementaire du groupe centriste Liot. Ce dernier visait à abroger le passage de l’âge de la retraite à 64 ans et avait été retoqué par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.

Une décision prise au nom de l’article 40, qui stipule que les propositions et amendements des parlementaires ne sont pas recevables s’ils entraînent une diminution des recettes ou un alourdissement des charges publiques. Le recours à cet article constitue une première sous la Ve République et vient en contradiction avec les usages de la Chambre et la décision du président de la commission des finances, le député LFI (La France insoumise) Eric Coquerel, qui avait jugé recevable le texte du groupe Liot le 30 mai.

«Vous écrabouillez notre démocratie parlementaire»

Un choix qui «porte un coup terrible à notre démocratie parlementaire», que «vous écrabouillez», a dénoncé le député PCF (Parti communiste français) André Chassaigne lors de son intervention ce 8 juin à l’Assemblée. «Nous sommes confrontés aujourd’hui à une rupture démocratique majeure», a appuyé peu après Marine Le Pen, présidente du groupe parlementaire Rassemblement national (RN). «Vous savez que vous n’avez pas de majorité pour ce texte, ni dans cette Assemblée, ni dans le peuple. En réalité, vous avez peur du peuple», a-t-elle ajouté.

Mathilde Panot avait pour sa part annoncé dès le 7 juin le dépôt d’une motion de censure contre le gouvernement. «Il est inacceptable que l’on puisse faire un tel coup de force sans qu’il y ait une réaction derrière», s’était indignée la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, interrogée par la presse dans les couloirs du Palais-Bourbon.

«Comment vous sentez-vous quand le Front national [sic] et LFI se lèvent pour vous soutenir dans une admirable tenaille identitaire et extrémiste ?», avait lancé Olivier Dussopt, ministre du Travail, à Charles de Courson le 30 mai dernier, dénonçant le soutien des différentes oppositions à la proposition de loi du député centriste.

Une décision «sous la pression de l’exécutif» ?

Une opposition qui dénonce non seulement une forme d’obstruction, mais aussi la soumission de la présidente de l’Assemblée nationale aux pressions du gouvernement. «En prenant cette décision, madame Braun-Pivet n’est plus présidente de l’Assemblée nationale, elle est une sorte de bon petit soldat qui applique à la lettre les consignes du président de la République», s’est emporté Manuel Bompard, coordinateur national de LFI au micro de BFMTV-RMC, ce 8 juin.

Le même jour, le député RN Sébastien Chenu fustigeait «une pression qui a été faite de la part du président de la République et du gouvernement sur l’Assemblée nationale et sa présidente Yaël Braun-Pivet». Des termes presque identiques à ceux du communiqué du groupe Liot, diffusé le 7 juin, qui parle du recours à l’article 40 comme d’un «dangereux précédent et une attaque inédite contre les droits du Parlement», réalisés «sous la pression de l’exécutif».

De fait, des députés de la majorité présidentielle, mais aussi des membres du gouvernement, agitent depuis plusieurs semaines le recours à l’article 40, auquel Yaël Braun-Pivet n’était au départ pas favorable. En commission parlementaire, elle avait d’ailleurs initialement déclaré recevable le texte du groupe Liot. De son côté, Franck Riester, ministre chargé des relations avec le Parlement, avait jugé «logique» que le texte soit rejeté au nom de l’article 40, au micro de Radio J le 16 mai dernier. «Cette proposition d’abrogation est inconstitutionnelle. Je pense qu’il faut que chacun en soit conscient et prenne ses responsabilités en conséquence», avait pour sa part lancé Élisabeth Borne, la Première ministre, le 17 mai, après ses rencontres avec des syndicats. Elle faisait référence à l’article 40, qui a finalement eu la peau de la proposition de loi du groupe Liot.