«Touche pas à ma PJ» : des centaines d'enquêteurs de police judiciaire hostiles à la réforme de leur filière se sont rassemblés ce 17 octobre dans plusieurs villes pour tenter, avec le soutien de magistrats et d'avocats, de convaincre Gérald Darmanin de renoncer à son projet. L'inscription «liquidation judiciaire» ou des portraits de Georges Clemenceau – le fondateur des «brigades du Tigre» (ancêtre de la PJ) – une larme de sang rouge à l’œil : les opposants se sont réunis à la mi-journée «dans 36 villes», selon l'Association nationale de la police judiciaire (ANPJ).
La réforme, voulue par le ministre de l'Intérieur, prévoit de placer tous les services de police du département – renseignement, sécurité publique, police aux frontières et PJ – sous l'autorité d'un seul Directeur départemental de la police nationale (DDPN), dépendant du préfet. Les agents de la PJ, chargée des crimes et enquêtes les plus graves, seraient intégrés à une filière investigation avec leurs collègues chargés de la délinquance au quotidien. Les détracteurs du projet pointent un risque de «nivellement vers le bas» et de renforcement du poids du préfet, sous tutelle de l'exécutif, dans les enquêtes.
A Nanterre, 200 à 300 fonctionnaires des offices centraux de la PJ, se sont rassemblés derrière une banderole «les offices contre la DDPN». Des magistrats des juridictions inter régionales spécialisées (JIRS), en robe, les ont rejoints. Ils ont entonné la marseillaise, le dos tourné à banderole.
A Lyon, environ 150 officiers de police, magistrats ou avocats se sont retrouvés devant le Palais de justice.
Dans le sud-est de la France, 80 manifestants étaient présents, en Corse ou à Nice, où le député LR des Alpes-Maritimes Eric Ciotti est venu «soutenir ce mouvement de protestation».
Devant la préfecture de l'Hérault à Montpellier, il y avait 150 à 200 manifestants.
«Les premiers retours d'expérience des sites pilotes [de la réforme] dans les Pyrénées-Orientales et l'Hérault sont alarmants», y a déclaré Catherine Konstantinovitch, présidente de chambre à la cour d'appel de Montpellier et déléguée régionale de l'Union syndicale des magistrats (USM).
«L'autorité judiciaire est identifiée comme un simple gestionnaire de flux, les priorités de politique générale définies par les procureurs ne sont pas respectées et la justice a perdu ses interlocuteurs spécifiques à la police judiciaire», a-t-elle déploré.
A Strasbourg, environ 60 agents de police et une vingtaine de magistrats se sont mobilisés. Ils étaient également une cinquantaine à Brest et à Lille, où les magistrats arboraient des panneaux «touche pas à ma PJ».
Marion Cackel, juge d'instruction de la JIRS de Lille et présidente de l'association française des magistrats instructeurs, a pris la parole pour dénoncer la réforme et l'effondrement des moyens des enquêteurs depuis vingt ans, «mal-traités, sous-payés». «Il y a 17 000 OPJ en France pour 3,9 millions de nouvelles procédures par an, sans compter les stocks.»
En dépit des protestations, Darmanin défend une réforme «courageuse et indispensable»
Depuis fin août, la contestation monte dans les rangs des 5 600 personnels de PJ. Elle s'est élargie le 7 octobre avec le limogeage d'Eric Arella, le patron respecté de la PJ dans la zone sud, qui a suscité un tollé.
Eric Arella payait la visite houleuse, la veille, du directeur général de la police nationale Frédéric Veaux à Marseille. Venu défendre la réforme, ce dernier avait dû traverser une «haie du déshonneur» formée de 200 enquêteurs opposés au projet. La vidéo de la traversée de cet ancien numéro 2 de la PJ est vite devenue virale sur les réseaux sociaux.
Deux jours plus tard, Gérald Darmanin a concédé quelques amendements mineurs et renvoyé la mise en œuvre du projet après le premier semestre 2023 et la reprise des discussions à la mi-décembre après un audit. Mais sans toutefois remettre en cause une réforme selon lui «courageuse et indispensable».