«C'est une ingérence flagrante dans les affaires intérieures de la Chine», a notamment déclaré Lu Shaye sur le plateau de RT France ce 16 août, revenant sur la visite sous haute tension de la présidente de la chambre basse américaine Nancy Pelosi à Taïwan le 2 août.
L'ambassadeur de Chine en France a estimé que les Etats-Unis avaient par là même «manqué à leur engagement» pris à plusieurs reprises envers la République populaire de Chine de ne pas nouer de relations officielles avec Taïwan. «Ce sont les Américains qui jettent de l'huile sur le feu», a-t-il déclaré, considérant que les «activités provocatrices et incendiaires» des Etats-Unis pouvaient, à terme, conduire à la guerre.
Retrouvez la retranscription intégrale de l'entretien :
Dora Abdelrazik, RT France : On sent bien que depuis la visite de Nancy Pelosi à Taïwan, la tension monte entre Taipei et Pékin, plus précisément entre la Chine et les Etats-Unis. Ce déplacement a été vécu, je cite, comme une «grave violation des engagements américains vis-à-vis de la Chine». Pourquoi ?
Lu Shaye, ambassadeur de Chine en France : Tout d’abord, la question de Taïwan reste une affaire intérieure de la Chine. La visite de la présidente de la Chambre des représentants américaine Nancy Pelosi à Taïwan est une ingérence flagrante dans les Affaires intérieures de la Chine. Et d’ailleurs, dans le communiqué conjoint sino-américain, lors de l’établissement de nos relations diplomatiques, les Etats-Unis se sont engagés à reconnaître le gouvernement de la République populaire de Chine comme le gouvernement unique représentant la Chine et à ce que le peuple américain maintienne des relations commerciales, culturelles et d’autres relations non-officielles avec la population de Taïwan. La visite de Nancy Pelosi n’est évidemment pas une visite non officielle. Elle contacte la numéro 1 des autorités de Taïwan, cela est déjà un contact officiel. Donc nous disons que les Américains ont violé, ou bien ont manqué à leurs engagements [prévus] dans le communiqué conjoint avec la Chine.
Ce dimanche [14 août] des parlementaires américains se sont rendus sur l’île [de Taïwan]. Est-ce une nouvelle provocation selon vous ? On sait qu’en représailles à la visite de Nancy Pelosi, la Chine a lancé des manœuvres militaires qu’elle a d’ailleurs reprises hier [15 août]. On jette encore une fois de l’huile sur le feu ? Les Américains en tout cas ?
Je pense tout d’abord que ce sont les Américains qui jettent de l’huile sur le feu, avec la visite de Mme Nancy Pelosi qui est le 3e personnage du pouvoir fédéral des Etats-Unis. Avant sa visite, le gouvernement chinois avait déjà fait des efforts auprès des Américains pour dissuader Mme Nancy Pelosi de [réaliser] sa visite. Mais rien n’y a fait. Donc les contre-mesures prises par le gouvernement chinois après sa visite, [constituent] une réponse à cette visite pour dissuader, avertir de la prise de risque, des activités dangereuses des Américains et de la force sécessionniste visant l’indépendance de Taïwan. Parce que leurs activités ont gravement violé la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine. Et gravement violé les intérêts vitaux de la Chine.
Monsieur l’ambassadeur, vous parlez d’ingérence ; que craignez-vous justement avec cette multiplication de visites américaines à Taïwan ?
Nous craignons la guerre. Parce que si on laisse leurs activités provocatrices et incendiaires continuer, au bout de ces provocations, ce sera la guerre. Pourquoi ? Parce que la réunification de la patrie, la rentrée de Taïwan à la patrie, c’est notre mission, c’est notre intérêt vital. Aucun pays dans le monde ne permettra [la séparation] d'une partie de son territoire – y compris la Chine. Nous ne permettrons pas non plus [à] Taïwan de se séparer de la Chine. Nous avons déjà exprimé clairement notre position. Tout le monde, tous les pays le comprennent – y compris les Etats-Unis. Parce que c’est le principe d’une seule Chine, c’est le consensus universel de la communauté internationale, c’est une norme fondamentale régissant les relations internationales et consacrée par la résolution de 1958 de l’Assemblée générale de l’ONU. Donc chaque pays qui enfreint ce principe est déjà en violation, viole les intérêts vitaux de la Chine. La Chine a le droit de se défendre. Si on n’arrive pas à se défendre par voie pacifique, par moyen pacifique, on n’a qu’à recourir aux moyens non pacifiques.
Quand vous parlez de moyens non pacifiques, on a vu ces manœuvres militaires qui ont été lancées. C’était des exercices qui étaient déjà prévus, en tout cas c’est ce qu’avait dit le gouvernement chinois. Il y a eu de nouveaux exercices militaires, encore une fois, il y a aussi eu des sanctions politiques contre des responsables taïwanais. Jusqu’où cette escalade peut-elle aller ?
Jusqu’à ce qu’ils cessent ce genre d’activités, de sécessionnisme, de séparation. Alors j’ai dit tout à l’heure, toutes ces contre-mesures, c’est pour dissuader [...] la force sécessionniste de Taïwan de continuer ses actes, ses activités de séparation de la patrie. Et de dissuader les Américains de soutenir et d'enhardir les forces sécessionnistes visant la séparation de Taïwan, parce que c’est une action très dangereuse.
Justement en parlant des Américains, M. l’ambassadeur, il y a quelques jours, Henry Kissinger, l’ancien Secrétaire d’Etat américain, s’est montré très critique envers la politique de son pays […] Est-ce que vous partagez cet avis ?
Oui, je partage parfaitement l’avis de M. Kissinger qui est vraiment un grand sage de notre monde. C’est un homme centenaire. Je pense que le gouvernement américain doit écouter son avis et il y a plus de cinquante ans, la Chine et les Etats-Unis ont établi les relations diplomatiques justement sur la base du principe d’une seule Chine. Or maintenant les Américains veulent détruire cette base ; ce serait une tragédie. [Et] même une guerre. Je me rappelle en entendant M. Kissinger, la parole de l’ex-conseiller du président Sarkozy, M. Henri Guaino : il a dit que l’on est en train d’entrer dans la guerre comme un somnambule. Alors j’espère que les Américains et la force sécessionniste à Taïwan n’entrent pas dans la guerre comme un somnambule.
Vous l’avez dit, le principe d’«un pays, deux systèmes» [...] prévaut dans la région depuis longtemps, et on sent cette envie des Américains mais aussi de certains Taïwanais de remettre en cause ce principe. Est-ce que cela pourrait emmener la Chine à, peut-être, repenser ce principe d’une autre manière ?
Cela signifie exactement que depuis le début, Taïwan fait partie de la Chine. Parce qu’en 1949, lorsque Tchang Kaï-chek a fuit à Taïwan après la défaite lors de la guerre civile avec le parti communiste chinois, [Tchang Kaï-chek et ses partisans] reconnaissaient toujours que Taïwan faisait partie intégrante de la Chine. Même dans leur soi-disant Constitution de la République de Chine, c’est écrit, noir sur blanc, que Taïwan fait partie de la Chine. Et les autorités de Taïwan d’aujourd’hui reconnaissent officiellement, publiquement, encore cette soi-disant Constitution. Il faut leur demander de bien lire les articles de ce texte, comme cela est écrit. Alors, puisque Taïwan fait partie de la Chine, pour quelle raison demander encore à faire un référendum pour décider son destin ?
Vous êtes favorable à cette idée de référendum ?
Non non non, je n’y suis pas favorable. Pas parce que j’ai peur du référendum ; [mais] parce que le référendum doit être fait sur toute la Chine, pas sur une partie de la Chine qui est Taïwan. [Dans] toute la Chine, nous avons 1,4 milliard d’habitants et d’ailleurs auparavant, la population de Taïwan n’était pas pour la séparation. Ils étaient pour la réunification, comme je l’ai dit tout à l’heure. Tchang Kaï-chek et son fils étaient pour la réunification. Ils ont [eu le] rêve de réunifier la Chine – jusqu’à leur mort. Mais c’est après eux, avec la propagande de sécessionnisme du parti démocrate progressiste, pendant 10 ans, 20 ans, que la mentalité de la population de Taïwan a changé. Mais je suis sûr que ce n'est pas toute la population à Taïwan qui est pour la séparation aujourd’hui. Même si – vous pouvez demander – il y a beaucoup de Taïwanais qui expriment leur sentiment patriote vis-à-vis de la Chine. A Shanghai, il y a presque un million de Taïwanais qui vivent, qui font des affaires, qui étudient là-bas. Leurs origines se trouvent dans la partie continentale de Chine. Même la dirigeante de Taïwan, madame Tsai Ing-wen, est [originaire du continent].
Du côté taïwanais en tout cas, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères de Taïwan a déclaré – je cite : « Pour maintenir nos lignes de défense libérales-démocratiques, nous ne reculerons pas » ; et on voit que Taïwan a elle aussi lancé des manœuvres militaires. Et vous, je vous cite, vous avez déclaré il y a quelques jours : « La Chine est prête à tout. Qui veut la paix, prépare la guerre ». C’est une déclaration très forte. Mais pour éviter justement une escalade, ou arriver à un conflit, est-ce qu’un dialogue aujourd’hui est possible entre les autorités chinoises et les autorités de Taïwan ? - un dialogue direct ?
Oui. Le dialogue est possible uniquement sur la base du principe d’une seule Chine. Mais entre les deux côtés du détroit, nous avons un consensus, de 1992. On peut [réaliser] la discussion, les consultations, sur cette base du consensus de 1992. Mais le problème est que les autorités de Taïwan d’aujourd’hui ne reconnaissent pas, refusent de reconnaître ce consensus. Donc il n’existe pas de base de dialogue pour le moment, maintenant. Je pense que la parole du porte-parole du département – ce n’est pas le ministère des Affaires étrangères – chargé des affaires extérieures signifie exactement que les autorités de Taïwan, aujourd’hui, s’obstinent encore à aller toujours plus loin sur la voie dangereuse de séparation de la patrie. Dans ce cas-là, je pense que le gouvernement chinois exprime aussi sa détermination de prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir l’unification de la Chine et faire résolument échec à toute tentative de séparation de la patrie.
Je vais profiter de votre présence avec nous en plateau, M. l’ambassadeur, pour aborder un autre sujet, la question de la présence chinoise en Afrique. Puisqu’on voit bien que cette présence de la Chine en Afrique dérange certains, dérange les Etats-Unis – à l’image d’Antony Blinken qui s’est rendu récemment en Afrique […] pour essayer de montrer une nouvelle stratégie américaine – mais aussi inquiète la France. On entend souvent des politiques français mettant en garde contre l’influence de la Chine en Afrique. En quelques mots, comment décrivez-vous l’intérêt de Pékin pour le continent africain ? – continent qui a été sous influence française pendant très longtemps.
Les relations sino-africaines datent de très longtemps – je pense que depuis le début des années 60 du dernier siècle, lors du mouvement de libération des pays africains, la Chine leur a fourni beaucoup d’aide et d’assistance économique, politique et même militaire. Donc beaucoup de pays africains ont obtenu l’indépendance à l’aide des assistances de la Chine. A cette époque-là, la Chine n’était pas encore riche. Nous étions encore très pauvres. Mais nous avons sorti beaucoup d’argent pour les aider. Un bon exemple est la construction du chemin de fer de la Tanzanie à la Zambie. 1800 kilomètres. Ce chemin de fer marche encore, aujourd’hui. Et après, quand la Chine s'est développée, nous avons eu plus de moyens, de ressources pour aider les pays africains. Nous avons déployé, investi plus pour les pays africains afin de les aider à construire des infrastructures, des installations sociales, civiles, par exemple les hôpitaux, les écoles et autres… et [pour] le développement de l’agriculture. Et on a remporté beaucoup de bons résultats à partir de l’an 2000 ; la Chine et les pays africains ont créé un forum sur la coopération bilatérale et l'on tient une conférence tous les trois ans. A chaque fois, on établit un programme de coopération pour les trois années à venir, et à chaque fois, on réalise tout notre programme. Donc maintenant, on me dit que l’influence de la Chine devient de plus en plus grande ; mais je pense qu’il n’y a rien à craindre parce que la présence de la Chine est une bonne chose pour les pays africains et pour le monde. Pourquoi ? Parce que si les pays africains sortent de la pauvreté, c’est aussi une contribution au développement et à la prospérité du monde.
Dernière question M. l’ambassadeur : juste un mot sur l’Ukraine, puisque c’est aussi un sujet qui fait la Une de l’actualité bien évidemment, dans le sillage de ce qui se passe à Taïwan. Le 4 août dernier, Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, a estimé que le président chinois pouvait faire usage de son influence sur la Russie pour mettre un terme à la guerre. Il a même lancé une invitation : il aimerait rencontrer en personne son homologue chinois. Comment ces déclarations ont-elles été accueillies du côté de Pékin ?
La Chine appelle, depuis le début, à résoudre la crise ukrainienne par voie pacifique à travers les dialogues, les consultations entre les parties prenantes et il y a quelque temps, le président chinois Xi Jinping a lancé une initiative sur la sécurité mondiale qui réside en 6 points. Je pense que ces 6 points peuvent être exactement utilisés pour résoudre ce problème-là. Nous pensons que c’est une crise entre la Russie et l’Ukraine, et plus largement entre la Russie et l’OTAN. La Chine fait toujours son jugement sur la base de la réalité [...] et nous tenons compte toujours des tenants et des aboutissants de la crise. Et l'on a déjà exprimé à maintes reprises ce que nous pensons sur cette crise-là. Mais en un mot : nous préconisons toujours la résolution de la crise par voie pacifique et bien sûr il faut résoudre les préoccupations légitimes de sécurité de tous les pays, y compris de la Russie. La Russie a avancé que ce sont les cinq cycles d’élargissement de l’OTAN qui ont causé un problème sécuritaire pour la Russie et d’ailleurs, il s’est passé des choses dans le territoire à l’est de l’Ukraine – donc ce qui touche aux intérêts de la Russie. Et je pense qu’il faut que la Russie et l’Ukraine se mettent sur la table pour discuter du problème. Il y a quelques mois, les deux parties sont presque tombées sur un accord, mais malheureusement avec des éléments, des interventions extérieurs, les pourparlers ont échoué. Je pense que cette crise est préjudiciable à tous les pays du monde, y compris les pays européens – surtout les pays européens, qui sont les victimes des sanctions imposées par eux-mêmes à la Russie. Et c’est pourquoi la résolution le plus tôt possible de cette crise serait favorable à tout le monde.