RT France : Quelle a été votre réaction en apprenant la mort de Kofi Annan ?
Philippe Douste-Blazy (P. D.-B.) : J’ai accueilli cette nouvelle avec une grande tristesse car nous perdons un grand sage mais aussi un homme juste. Un homme qui va manquer à la communauté internationale par son aura, son charisme mais aussi son élégance et son autorité naturelle. C’est un homme tout à fait extraordinaire que nous perdons. Cette nouvelle est d’une grande tristesse.
RT France : Quelles qualités lui reconnaissaient les personnes qui le côtoyaient à l'ONU ? Qu’est-ce qui rendait sa présence si particulière ?
P. D.-B. : Parler de Kofi Annan, c’est parler de toute sa carrière aux Nations unies qu’il a commencée à l’Organisation mondiale de la santé, continuée avec la Commission économique et poursuivie avec le Haut-Commissariat pour les réfugiés. Toute sa vie, il l’a passée au service des Nations unies et de cette idée extraordinaire qui permet à tous les ennemis et à tous les peuples, qui sont malheureusement aujourd’hui dans la difficulté, de se retrouver. Et là où il a été extraordinaire, c’est d’avoir eu le courage de dire aux Américains et à toutes les grandes puissances qu’ils n’étaient pas là pour se servir mais pour servir tous les peuples des Nations unies.
RT France : «La responsabilité des grands Etats est de servir et non pas de dominer les peuples du monde». Pensez-vous que cette phrase ait toujours une résonance aujourd’hui ?
P. D.-B. : Cette phrase est plus que jamais d’actualité. Kofi Annan était un grand défenseur du multilatéralisme. Il expliquait aux grandes puissances qu’elles n’avaient pas à diriger le monde et qu’elles étaient là, au contraire, pour aider, y compris les plus petits. Je crois que c’est cela la grande leçon de Kofi Annan. Souvenez-vous en 2003 lorsqu’il était secrétaire général des Nations unies alors que l’Amérique de Georges W. Bush envahissait l’Irak. Au moment où la France disait non, lui n’a pas eu peur de dire que cette intrusion, cette invasion était illégale – c’est le mot qu’il a employé. Pour un secrétaire général des Nations unies, c’est très courageux de dire non aux Etats-Unis et il l’a fait ! C’est quelqu’un pour qui nous avons tous le plus grand respect. Parce que, une fois de plus, les plus grands, les plus riches, ne doivent pas opprimer les plus pauvres : c’est cela la grande leçon des Nations unies.
RT France : Vous mentionnez la guerre en Irak. Les deux mandats de Kofi Annan en tant que secrétaire général ont été marqués par une période troublée : 11 septembre, actions unilatérales américaines en Irak ou en Afghanistan où les Nations unies ont eu du mal à se faire entendre. Quel a été selon vous son plus grand succès durant cette période ?
P. D.-B. : Son plus grand succès c’est sa vie. Une vie passée au service des droits de l’homme et au service des plus petits. C’est quelqu’un qui écoutait et qui avait un charisme naturel, qui n’avait pas besoin d’élever la voix. Il incarnait les Nations unies. Vous savez elles sont souvent critiquées mais c’est parce qu’elles ne sont que la résultante de ce que veulent les chefs d’Etat. Si les chefs d’Etat disent non, que voulez-vous que fasse le secrétaire général des Nations unies ? Kofi Annan a incarné cette fonction et surtout le fait qu’il y ait un endroit dans le monde où les pays peuvent se parler. Parfois évidemment de manière insuffisante, parfois aussi de manière inefficace mais en restant toujours présent. C’est un espoir pour la communauté internationale d’avoir les Nations unies, aussi imparfaites soient-elles.
C’est également lui qui a demandé l’élargissement du Conseil de sécurité des Nations Unies. Par exemple : pourquoi et comment un pays comme l’Inde d'un milliard et demi d’habitants, comment un continent comme l’Afrique qui sera bientôt à deux ou trois milliards d’habitants ne sont pas représentés au Conseil de sécurité de manière permanente ?
RT France : Pensez-vous que l'ONU est aujourd'hui plus ou moins puissante qu'à l'époque de Kofi Annan ?
P. D.-B. : Les Nations unies restent les Nations unies. Elles n’ont pas changé. Kofi Annan les a particulièrement bien incarnées avec son charisme et son autorité naturellle mais elles demeurent menées aujourd’hui par son nouveau secrétaire général qui est un homme absolument remarquable, qui a dirigé le Haut-Commissariat aux réfugiés pendant dix ans. On ne pourrait pas vivre aujourd’hui sans les Nations unies. Mais encore faut-il que les Nations unies puissent avoir une action de plus en plus forte. Cela veut dire qu’il faudra remettre en cause tôt ou tard ce droit de véto qui rend parfois les Nations unies un peu inefficaces.
Rt France : Quel souvenir personnel garderez-vous de Kofi Annan ?
P. D.-B. : J’ai connu Kofi Annan lorsque j’étais ministre des Affaires étrangères sous l’autorité du président Jacques Chirac. Il était un ami personnel du président Chirac avec qui il partageait la même vision du monde, c’est-à-dire le respect de l’individu et le respect des peuples, quels qu’ils soient, dans leur souveraineté et dans leur culture. Lorsque nous avons créé avec le président Chirac, Unitaid, une organisation financée grâce à un euro par billet d’avion pour lutter contre le sida, le paludisme et la tuberculose dans les pays pauvres, nous avons lancé l'initiative en septembre 2006 à New-York lors de l’Assemblée nationale des Nations unies. Kofi Annan était encore secrétaire général. Nous avons profité de sa présence pour lancer ce mouvement avec Bill Clinton, avec le président de l’Union africaine, avec également la Norvège, le Royaume-Uni et d’autres pays, ainsi que des organisations non-gouvernementales. C’était un grand souvenir car Kofi Annan rayonnait ce jour-là, pour lutter contre les conséquences sanitaires de l’extrême pauvreté, essentiellement sur le continent africain.
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