Entretiens

Jérome Pierrat : «Pour acheter de la drogue à Marseille, c'est un système de drive in comme au McDo»

Journaliste d'investigation, spécialiste du crime organisé et du milieu marseillais, Jérome Pierrat revient pour RT France sur ce qui a fait de Marseille une plateforme du banditisme en France et en Europe.

«J'ai peu d'espoir que la situation s'améliore sauf si on décide de faire un vaste plan d'investissement économique qui coûterait des millions d'euros... Problème : vu la situation économique de la France, je ne vois pas comment c'est possible» explique celui qui analyse le milieu marseillais comme un ensemble de start-up et voit les voyous comme des chefs d'entreprise. 

Il faut pousser les jeunes à faire des études plutôt que leur faire la morale pour les inciter à s'en sortir et à ne pas tomber dans le banditisme

Jérome Pierrat plante le décor sans détours et ne mâche pas ses mots. Pour avoir enquêté pendant plus de 20 ans sur le milieu marseillais et fréquenté ses caïds, le journaliste est bien placé pour avoir une opinion et répondre à la question «Marseille a-t-elle une chance de sortir de la spirale de violence et de banditisme qui gangrène certains de ses quartiers?». Hélas, il n'est pas très optimiste. 

Alors que la cité phocéenne compte près de 11 morts depuis le début de l'année à cause de règlements de compte et que certains élus locaux, à l'instar de Samia Ghali, sénatrice des Bouches-du-Rhône désespèrent, la situation ne semble pas prête de s'améliorer. Pour Jérome Pierrat, politiquement, à droite comme à gauche, personne n'a encore trouvé la solution. 

Selon lui, s'attaquer à un problème si vaste dans l'une des villes les plus criminogènes d'Europe ne peut pourtant pas s'envisager par la simple répression. 

La prison ne sert à rien. Les Baumettes, la fameuse prison de Marseille où se retrouvent tous les gamins incarcérés, c'est une école du crime. On en ressort avec un diplôme et une aura de caïd

S'il appelle de ses vœux une meilleure coordination des enquêtes de la police et de la justice ainsi que plus de moyens pour les enquêteurs (la police n'ose plus s'aventurer dans certains quartiers), il plaide surtout pour une prise en charge socio-économique du problème, qui casserait la culture du banditisme qui gangrène les cités et happe les jeunes en mal de réussite et d'intégration. 

Autre problème : si les jeunes des quartiers nord sont défavorisés, la ville est en revanche à un carrefour géographique stratégique qui permet la prolifération des trafics et notamment l'import-export de drogues. Proximité du Maghreb pour dissimuler l'argent, frontières européennes poreuses, trafic intense et difficilement contrôlable du port de Marseille, présence historique de milieux mafieux et proximité avec la Corse...La situation est un véritable casse-tête et la lourde bureaucratie peine à s'adapter à la réactivité des trafiquants résume-t-il. 

«Ce sont des hommes d'affaires», explique Jérome Pierrat. «Ils ont de l'argent, beaucoup d'argent, et n'ont ainsi aucune difficulté à se procurer des armes de guerre et des gadgets derniers cri qui leur permettent de faciliter leur business». Le journaliste évoque ainsi les balises GPS que les trafiquants posent sur les voitures de leurs concurrents afin de suivre leurs mouvements. 

Pour les armes, là encore, la position géographique est un atout pour les trafiquants : 

A Marseille, la proximité avec la Légion Étrangère est un atout pour les voyous. Dans la Légion Étrangère, il y a 80% de soldats originaires des pays de l'Est, et parmi eux, beaucoup sont d'anciens soldats qui ont des connexions dans leurs pays d'origine pour la vente d'armes. Dans les démantèlements des filières d'armes à Marseille, on trouve toujours un légionnaire ou ex légionnaire des pays de l'Est dans l'histoire

Si Jérome Pierrat confirme les liaisons dangereuses que la cité phocéenne est régulièrement soupçonnée d'entretenir avec l'Europe de l'Est pour le trafic d'armes, il balaie le mythe du voyou islamiste, qui aurait délaissé le trafic pour le djihad mais dresse néanmoins un constat inquiétant. «Il y a une forte influence des milieux islamistes radicaux sur cette jeunesse perdue», explique-t-il. Si vous regardez le profil des types qui versent dans l'islamisme radical, c'est pas des Al Capone : c'est plutôt des délinquant ratés ! Prenez Nemmouche, Merah, Coulibaly ou les frères Kouachi, ce ne sont que des voyous ratés. Ce sont des jeunes qui ont été dans la délinquance, qui n'y ont pas réussi, et qui se sont tournés vers une autre famille aussi radicale», conclut Jérome Pierrat dans un soupir.

Le voyou qui réussi n'a aucune raison de devenir barbu. Il préfère devenir millionnaire