Economie

Amazon aurait proposé un accord à la France pour renoncer à une loi protégeant les libraires

Pour contrer un projet de loi, Amazon a proposé au gouvernement français de relever ses tarifs d’envoi. Actuellement Amazon les facture le plus souvent 1 centime d’euro, contournant l’esprit de la loi sur le prix unique du livre.

L’agence Reuters affirme, sur la foi de sources parlementaires, que le géant du commerce en ligne Amazon a proposé au gouvernement français de relever ses frais d'envoi de livres en France aux alentours de 2 euros, contre une quasi-gratuité actuellement. Mais il y met une condition : que le Parlement renonce à une loi définissant un prix de port minimal pour défendre les librairies indépendantes qui n’ont pas les moyens d’offrir au client les frais de port, comme le fait Amazon, contournant, l'esprit de la loi sur le tarif unique du livre neuf. 

Une réunion à ce sujet s'est tenue le 25 août au ministère de la Culture en présence de la ministre Roselyne Bachelot et du patron de la division Livres d'Amazon, David Naggar, venu de Seattle (Etat de Washington) aux Etats-Unis. Informée du contenu de ce rendez-vous auquel elle n'a pas assisté, la sénatrice Laure Darcos (Les Républicains) à l'origine de la proposition de loi, s'est entretenue avec des responsables d'Amazon, en particulier Yohann Bénard, directeur des affaires publiques pour l'Europe du Sud.

«Il m'a dit à peu près la même chose que ce qui a été dit à la ministre : ils étaient prêts à augmenter les frais de port des livres jusqu'à 1,80 - 2,00 euros hors abonnement Premium pour les aligner sur les biens de consommation à une condition : que l'on retire notre mesure pour que ça ne bénéficie pas aux libraires», a-t-elle relaté à Reuters.

Plusieurs sources ont en outre évoqué la crainte d'Amazon de voir la législation française donner des idées à d'autres pays européens. Le ministère de la Culture a confirmé à Reuters la tenue de la réunion du 25 août sans donner d’autre détail.

Interrogé par Reuters, Amazon n'a confirmé ni la tenue de la réunion, ni son contenu. Mais l'entreprise n'a pas démenti qu'une proposition ait été faite. Les responsables d'Amazon – dont le premier métier était la vente de livres avant de passer à d'autres biens de consommation – ont multiplié les rencontres pour plaider leur cause contre un texte approuvé par des élus de tous bords politiques, et soutenu par le président de la République.

Tarif unique et prix plancher pour les livraisons

Quarante ans après l'instauration du prix unique du livre, Sénat et Assemblée doivent adopter en lecture définitive, les 16 et 19 décembre respectivement, cette proposition de loi «visant à améliorer l'économie du livre et à renforcer l'équité entre ses acteurs», dont la mesure phare consiste à instaurer un prix plancher pour les livraisons. 

Une fois la loi promulguée, des négociations entre le ministère de l'Economie, celui de la Culture et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) devraient déboucher sur un arrêté, conduisant à facturer quelques euros l'envoi d'un livre – là où Amazon, suivi par d'autres groupes comme la Fnac , le limite aujourd'hui à un centime d'euro. La mesure prendra effet six mois après la publication de l'arrêté et un rapport parlementaire sera rédigé dans les trois ans pour en mesurer les effets, notamment en termes de pouvoir d'achat et d'accès au livre des ruraux. Des thèmes développés dans une tribune du directeur général d'Amazon France, Frédéric Duval, envoyée aux clients juste avant le vote de la loi à l'Assemblée nationale, début octobre. 

Un porte-parole d'Amazon a déclaré à Reuters que 43% de ses livraisons de livres en France étaient destinées à des communes dépourvues de librairies. Une hausse des frais de port représenterait un coût supplémentaire pour les consommateurs français d'environ 250 millions d'euros par an, a-t-il ajouté. Plus de 20% des 435 millions de livres achetés en 2019 l'ont été via internet en France, qui compte environ 3 000 librairies indépendantes.