Economie

Chômage, emploi : tout va mieux ?

Le gouvernement s'est félicité à plusieurs reprises du dynamisme de la reprise économique, qui se traduirait par une hausse des embauches et un recul du chômage. Outre les perturbations liées à la pandémie, la réalité semble être plus contrastée.

«Le taux d'emploi est au plus haut depuis 50 ans», a affirmé le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, à la sortie du Conseil des ministres du 24 novembre. Un satisfecit qui vient compléter les nombreuses déclarations ministérielles, qu'il s'agisse de Bruno Le Maire ou d'Elisabeth Borne, selon lesquelles la France aurait déjà largement effacé les impacts économiques du Covid-19 grâce au plan de relance et aux efforts consentis pour favoriser l'emploi des jeunes.

Les derniers chiffres publiés par le ministère du travail, le 25 novembre, semblent conforter cet optimisme, puisque le nombre de chômeurs (catégorie A) a baissé de 3,3 % en octobre, soit 113 500 inscrits en moins, à 3,4 millions. En incluant l’activité réduite (catégories B et C), le nombre de demandeurs d’emploi en France (hors Mayotte) est en baisse de 1,6 % en octobre par rapport au mois précédent et s’établit à 5,709 millions, selon la Direction des statistiques (Dares). Ce nombre repasse en dessous du niveau d’avant-crise de décembre 2019 (5,726 millions).

De la même manière, l'Insee a constaté, au troisième trimestre 2021, que «le taux de chômage au sens du BIT est quasi stable (+0,1 point), à 8,1 % de la population active. Il oscille entre 8 % et 8,1 % depuis le quatrième trimestre 2020, au même niveau qu'au quatrième trimestre 2019, avant la crise sanitaire».

La reprise économique est-elle si forte, et le marché du travail si dynamique ? «Grâce au "quoi qu'il en coûte" de l'Etat, à commencer par le chômage partiel, la catastrophe a été évitée», décrypte Henri Sterdyniak, membres des Economistes atterrés. Qui ne disconvient pas d'une «situation plutôt favorable», notamment pour le taux d'emploi des seniors et des jeunes, grâce à l'apprentissage. Mais la médaille a son revers : «Beaucoup de personnes travaillent à temps partiel contraint, d'autres renoncent à chercher un emploi, faute de perspectives crédibles», complète l'économiste.

Des indicateurs à compléter

Les chiffres officiels ne permettent pas, par ailleurs, d'avoir une vision précise du nombre de chômeurs en France. Sans contester «une certaine embellie économique», l'association ATD Quart Monde, dans un billet de blog sur Mediapart, rappelait que les chiffres officiels «ne donnent pas la température de l’intégralité du marché de l’emploi, mais seulement de sa partie émergée». Ainsi, «une personne non inscrite à Pôle emploi et qui a travaillé une heure dans la semaine a de grandes chances de n’apparaître dans aucune statistique du chômage, ni celles de Pôle emploi, ni celles de l’INSEE».

«Il suffit d'avoir travaillé quelques heures pour être considéré comme actif», confirme Henri Sterdyniak, selon qui «le taux de chômage réel est proche de 16% si on intègre le temps partiel subi et le "halo" du chômage», ce qui est «très loin d'une situation satisfaisante».

La réalité du chômage s'apprécie aussi en tenant compte des radiations décidées par Pôle emploi : comme le rappelle le mensuel Alternatives économiques, «après la parenthèse du confinement du printemps 2020, pendant laquelle les contrôles et les radiations ont été suspendus, le nombre de radiations administratives n’a cessé de remonter, pour atteindre 44 000 au troisième trimestre 2021, son niveau d’avant-crise sanitaire». Autant de personnes privées d'allocations.

De plus, la durée moyenne d’inscription au chômage en catégorie A,B et C a continué d’augmenter pour s’établir à 681 jours, un record depuis 1996. Ce qui renvoie à un problème persistant en France, celui du chômage de longue durée.

Selon Henri Sterdyniak, celui-ci ne se réduit toujours pas : «Il s'agit de chômeurs qui se retrouvent toujours au bout de la file du recrutement, et cette partie du "stock" est très dure à épuiser», sauf à créer des emplois aidés, ou à investir massivement dans la  formation.

Ce qu'attestent les données : entre le troisième trimestre 2020 et le troisième trimestre 2021, le nombre d'inscrits depuis moins d'un an recule de 6,8% (de 3 019 800 à 2 813 200), mais le nombre d'inscrits depuis un an ou plus ne diminue lui que de 0,1% (de 2 767 400 à 2 764 600) sur la même période.

Classement moyen de la France au sein de l'UE

Au total, jugeait l'association ATD Quart Monde début novembre, «on est en gros revenu à la situation d’avant-Covid pour le nombre d’inscrits à Pôle emploi», jugeant que «ce n’est pas surprenant – il faut bien remonter un jour quand on a atteint le fond de la piscine –, ni glorieux – nous nous trouvions déjà, fin 2019, à des niveaux de chômage records pour le 6e pays le plus riche du monde».

Ni cancre ni première élève, la France occupe une place intermédiaire au sein de l'Union européenne. Ainsi, la République tchèque a enregistré en octobre 2021 le taux de chômage le plus faible (2,6%) ; à l'autre extrémité du classement figuraient l'Espagne (14,5%) et la Grèce (12,9%). L’Allemagne affichait toujours une performance (3,3%) proche de celle des Pays-Bas (2,9%), loin devant la France (7,6%), la Suède (8,7%) et l’Italie (9,4%).

Enfin, le front de l’emploi risque d'être à nouveau perturbé par le rebond de la pandémie : s'il est encore trop tôt pour évaluer les dégâts du variant Omicron, la plupart des économistes s’attendent à un ralentissement de l’activité au cours du dernier trimestre 2021.

Qualité variable des emplois créés  

Que dire, au-delà des chiffres, de la qualité des emplois créés et proposés ? «Elle est variable», détaille Henri Sterdyniak, avec «d'un côté, des emplois qualifiés et plutôt bien payés liés à la numérisation (développeurs, graphistes, etc)», mais aussi «des emplois précaires, dans le secteur des soins à la personne par exemple».  

En outre, «une grande partie de la hausse du taux d'emploi s'explique par les mesures d'assouplissement du droit du travail décidées depuis le début du quinquennat», poursuit l'économiste. «Avec des embauches en contrat court, des licenciements plus faciles ou encore le développement du statut d'autoentrepreneur, la précarité progresse, pour concerner à peu près 25 % des emplois», souligne-t-il.

Une précarité qui pourrait encore s'accroître à cause des nouvelles règles de l'assurance-chômage : mettant systématiquement en avant des centaines de milliers d'offres d'emplois non pourvus, le gouvernement pense qu'il faut davantage contraindre les chômeurs dans leur recherche d'emploi, d'où le maintien de sa réforme controversée des règles encadrant les allocations de chômage. «Les demandeurs d’emploi qui ne démontreront pas une recherche active verront leurs allocations suspendues», avait déclaré Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 9 novembre.

Son porte-parole, Gabriel Attal, avait embrayé le 10 novembre sur Franceinfo en annonçant «25% de contrôles supplémentaires dans les six prochains mois, notamment dans les secteurs en tension où il y a beaucoup d'emplois non pourvus, où les chefs d'entreprises ont du mal à recruter», tels que la restauration ou le BTP.

Les syndicats ont contesté la réforme devant le Conseil d'Etat et la philosophie générale du projet, estimant que diminuer les allocations n'aura pas l'effet recherché, bien au contraire. Une nouvelle manifestation «contre le chômage et la précarité» a d'ailleurs eu lieu le 4 décembre, à l'appel, entre autres, du Mouvement national des chômeurs et des précaires et de la CGT-Chômeurs, contre la réforme, maintenue et entrée en application le 1er décembre. Comme le relève pourtant Alternatives économiques, «le "plein emploi" que le chef de l’Etat appelle de ses vœux ne dépend pas du bon vouloir de chômeurs qui rechigneraient à bosser mais de la qualité des offres proposées».

D'après Henri Sterdyniak, ces difficultés de recrutement existent, mais «ne sont pas aberrantes : il y a d'un côté des emplois non qualifiés et sous-payés qui attirent peu, de l'autre des offres sur des profils trop pointus : les entreprises doivent accepter de recruter des personnes qui débutent et les former sur le tas».

Retour des revendications salariales

La problématique des bas salaires revient d'ailleurs dans le débat, alors que le pouvoir d'achat arrive en tête des préoccupations des Français, selon plusieurs sondages récents. Elisabeth Borne a ainsi affirmé mi-septembre que «toutes les branches qui ont des minima en dessous du Smic doivent revaloriser les salaires», notamment dans l'hôtellerie-restauration, où des négociations sont en cours. 

Depuis quelques semaines, plusieurs mouvements de grève ont éclaté pour revendiquer des hausses de rémunérations : Decathlon, Leroy Merlin, Sephora, mais aussi chez le spécialiste du foie gras Labeyrie, entreprises peu habituées aux mouvements sociaux. Le rapport de force entre salariés et employeurs est peut-être en train d'évoluer, à la faveur d'un manque de bras dans plusieurs secteurs clés comme la distribution, le commerce ou encore le transport.

Nouvelles réformes en perspective

Le rebond de la croissance n'est donc pas synonyme de paix sociale, d'autant plus que d'autres réformes sensibles, préconisées par des organisations supranationales, seront au cœur des débats de l'élection présidentielle. Comme l'ont rappelé Les Echos, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a souligné, dans son rapport «France 2021» publié le 18 novembre, l'importance de mener des réformes qui favoriseront l'emploi – en particulier l'emploi de qualité – et dynamiseront la productivité. Tout en préconisant le relèvement progressif de l'âge effectif de départ à 64 ans à partir de 2025 : une réforme qui fera très probablement partie des premières mesures prises par Emmanuel Macron s'il vient à obtenir un deuxième mandat, et qui est également portée par Valérie Pécresse, la candidate des Républicains. Sur ce point, Eric Zemmour, partisan d'un report de l'âge de départ à la retraite, se distingue de Marine Le Pen, qui maintient jusqu'à présent l'idée de la retraite à 60 ans.