Pour contrer les sanctions étrangères, la Chine a adopté un texte qui risque de placer les multinationales face à de graves dilemmes géopolitiques entre Pékin et l'Occident.
Ce nouvel arsenal juridique, adopté le 10 juin par l'Assemblée nationale populaire chinoise, arrive une semaine après l'élargissement par l'administration Biden d'une liste noire d'entreprises chinoises dans lesquelles les Américains n'ont pas le droit d'investir, au nom de la sécurité nationale. La Chine avait déploré l'initiative et promis de prendre des mesures pour «défendre» ses entreprises.
Le texte, composé de 16 articles, est entré en vigueur le 10 juin dès sa promulgation. Il vise à «protéger» tout individu chinois ou organisation, dans le cas où un pays «utilise[rait] divers prétextes ou ses lois» pour prendre des mesures «discriminatoires» à leur encontre.
Aucun pays n'est explicitement nommé, mais Pékin se plaint depuis longtemps de l'application extraterritoriale du droit américain via des sanctions et des restrictions commerciales. La nouvelle loi légalise désormais des représailles qui peuvent être «suspendues, modifiées ou annulées», précise le texte.
Que prévoit la nouvelle loi chinoise ?
Parmi elles est prévue l'interdiction de visa et d'accès au territoire chinois aux individus tombant sous le coup de la loi, mais aussi à leur famille. Le texte légalise «la mise sous scellés, la saisie et le gel des biens» de personnes ou d'entreprises qui appliqueraient des sanctions contre la Chine. La loi ouvre également la possibilité d'avoir recours à «d'autres mesures» non précisées.
Angela Zhang, spécialiste du droit chinois à l'Université de Hong Kong citée par l'AFP estime que le libellé de la loi est suffisamment vague pour «affecter un grand nombre de personnes et d'entreprises». «C'est un peu fou», relève Julian Ku, professeur de droit à l'Université Hofstra aux Etats-Unis. «Des universitaires, des experts et leur famille, ainsi que des groupes de réflexion, risquent d'être sanctionnés pour leur soutien à des sanctions contre la Chine», prévient-il.
De son côté, Joerg Wuttke, le président de la Chambre de commerce de l'Union européenne (UE) en Chine, cité par l’AFP, a réagi en déclarant que les entreprises européennes étaient «sous le choc face au manque de transparence et à la rapidité de ce processus». Pour le représentant européen, cette loi risque de placer les entreprises européennes en Chine dans «une position de plus en plus précaire».
Quelles conséquences ?
Pour les multinationales, prises au milieu de la rivalité Pékin-Occident, «l'effet risque d'être dévastateur», prévient Angela Zhang, estimant toutefois que Pékin n'utilisera ces sanctions qu'en «cas de nécessité» mais «pas dans l'immédiat», car cela «renforcerait l'inquiétude» dans les milieux d'affaires étrangers et serait «coûteux» pour Pékin.
Elle estime que les entreprises étrangères seront tentées de relocaliser leur production hors de Chine, accélérant ainsi un découplage qui est «contraire aux intérêts» de Pékin, soucieux de maintenir l'emploi.
Mais cette nouvelle loi va inévitablement poser «un véritable dilemme» aux entreprises étrangères en Chine, relève Julian Ku, en allusion au choix cornélien qu'elles devront faire : se conformer aux sanctions américaines et risquer des représailles chinoises, et vice versa. Certaines entreprises pourraient selon Angela Zhang en venir à «faire pression sur leurs gouvernements» pour lever des sanctions contre la Chine.
Est-ce vraiment une nouveauté ?
Dans un contexte d'aggravation des tensions avec Washington dans les dernières semaines du mandat de Donald Trump, Pékin avait annoncé dès janvier des règles pour répondre à des décisions «injustifiées» à l'encontre de la Chine.
Très vagues, ces mesures donnaient déjà la possibilité aux individus et entités chinoises visés par des sanctions étrangères de «riposter». Mais aussi d'intenter des poursuites judiciaires en Chine. Plus généralement, des entreprises étrangères sont régulièrement prises pour cible par des internautes chinois, qui n'hésitent pas à les dénoncer sur les réseaux sociaux, lorsqu'elles font des déclarations ou adoptent des mesures perçues comme antichinoises.
En mars, le géant suédois du prêt-à-porter H&M et plusieurs marques étrangères se sont attiré les foudres et des appels au boycott pour s'être engagés à ne plus s'approvisionner en coton du Xinjiang. Ces entreprises justifiaient leur décision en s'appuyant sur les allégations des gouvernements et médias occidentaux de «travail forcé» dans cette région du nord-ouest de la Chine.