Economie

A plus de 2 000 dollars l’once, pourquoi le cours de l’or s’envole-t-il ?

L’effondrement de l’économie américaine au second trimestre combiné aux rendements négatifs des obligations d’Etat a propulsé le métal jaune vers des records historiques. Et la mousson indienne pourrait soutenir le phénomène. Tentative d’explication.

Comme l’attendaient la plupart des analystes, le cours de l’once d’or (31,1 g) a franchi le seuil psychologique des 2 000 dollars pour atteindre 2 040 dollars (1722 euros) dans la matinée du 5 août. Tout au long du premier semestre, le cours de l'or a augmenté de 17%. Et la tendance s’est emballée en juillet, quand le record historique de septembre 2011 − aux alentours de 1 800 dollars – a été enfoncé, le métal précieux gagnant encore 10%.

Trois principaux facteurs expliquent cette envolée : l’effondrement de l’économie américaine et son corollaire, un dollar faible ; les rendements réels négatifs des emprunts d’Etat ; et l’incertitude d'une reprise qui pourrait venir moins vite que prévu.

En effet, la majorité des échanges d’or ou de contrats adossés à l’or se faisant en dollar, si le billet vert baisse, il en faut plus pour acheter la même quantité de métal précieux. Et justement, la monnaie américaine, fortement affaiblie par l’impact sur l’économie des Etats-Unis de l’épidémie de Covid-19 (recul de plus de 30% du PIB au deuxième trimestre) a perdu près de 10% de sa valeur face à l’euro. Après un record de 0,93 euro atteint mi-mars, le dollar est tombé 0,85 euro.

En outre, après l’Europe, les obligations de l’Etat américain sont elles aussi entrées en territoire négatif. Certes, les bons du Trésor à 10 ans rapportent actuellement 0,5% par an, mais compte tenu de l’inflation le rendement réel est de l’ordre de -1%. Contrairement aux actions qui apportent des dividendes, l’or ne rapporte rien, mais rien c’est quand même mieux que de perdre de l’argent. Aussi, les investisseurs protègent une partie de leurs fonds en les plaçant dans le métal jaune.

Croissance en «V», «U» ou «W» ? 

Enfin, l’or constitue ce qu’on appelle une «valeur refuge» en période d’incertitude. Et l'incertitude est particulièrement élevée, car personne ne peut prévoir quand les économies mondiales vont reprendre le chemin de la croissance, ni à quel rythme.

On avait parlé de courbe en «V», soit un rebond immédiat et rapide une fois que le creux de la récession aurait été atteint, puis de rebond en «U», plus étalé dans le temps. Les analystes commencent désormais à anticiper une courbe en «W» si une deuxième vague épidémique se déclenchait après le timide rebond lié à la levée des mesures de confinement.

L’or a longtemps été méprisé par les gros investisseurs comme les gestionnaires de fonds de pension et les compagnies d’assurance car, contrairement aux actions ou obligations, il n’offre aucun rendement (on ne gagne de l’argent que quand on le revend avec une plus-value). Mais il commence à s’imposer grâce à l’essor des Gold ETFs (exchange trade funds). Ces produits financiers garantis en or ne nécessitent pas d’être conservés dans des coffres et correspondent mieux aux habitudes de ces catégories d’investisseurs que l'achat d'or physique privilégié par les particuliers.

145,5 milliards de dollars d'échanges quotidiens 

Les Gold ETFs peuvent donc servir de couverture pour des positions en dollars, puisque quand le billet vert baisse, l’or monte et vice versa. Pour mieux prendre la mesure du phénomène, il suffit de considérer les volumes actuels d’échanges sur des produits or physiques ou monétisés : 145,5 milliards de dollars par jour, soit presque autant que l’ensemble des actions des 500 entreprises entrant dans la composition du plus large indice boursier mondial, le Standard & Poor's 500, ou encore que les bons du Trésor américain d’un à trois ans. 

«Sprint ou marathon ?», s’interroge le World Gold Council, association internationale de développement de l’industrie de l’or. Autrement dit, la hausse du métal précieux est-elle un pic ou une tendance durable ? Dans sa dernière étude publiée il y a quelques jours, l’organisation considère que «la nature sans précédent de la pandémie de Covid-19 peut imposer des changements structurels qui soutiennent la performance de l'or à long terme».

Par ailleurs, elle note «des signes que l'activité économique dans certains pays tels que la Chine ou l'Allemagne commence à se normaliser, contrastant avec l'accélération des cas de Covid-19 aux Etats-Unis, ce qui aurait un impact négatif sur le dollar». Or, un dollar plus faible, combiné à des déficits en flèche et des politiques monétaires expansionnistes qui maintiendront durablement les rendements réels des obligations des Etats en territoire négatif, plaident pour des cours du métal précieux durablement élevés.

Une belle «saison des mariages»

Enfin, l’évolution des cours de l’or dépend aussi largement des besoins de l’industrie ainsi que de la demande mondiale de bijoux. Et là, on peut scruter les cieux. «La perspective d'une bonne mousson en Inde augure d'une belle saison des mariages et donc d'une augmentation des achats d'or, du moins si la Covid le permet», prophétise le professeur d'économie à Paris-Dauphine Philippe Chalmin, cité par Les Echos, dans un article mis en ligne le 4 août. 

Or, après une mousson 2019 qui fut la plus abondante depuis 25 ans, celle de la saison 2020 s'annonce sous les meilleurs auspices. Un paramètre majeur pour un pays de près de 1,3 milliard d'habitants, dont la moitié travaillent dans l'agriculture.

Ivan Lapchine