La proposition du G20, en réponse à la crise économique causée par la pandémie de COVID-19, de suspendre, pour les pays les plus pauvres, les paiements des dettes publiques, ainsi que son appel aux créanciers privés à offrir le même report n’ont pour le moment pas remporté un franc succès.
Ce ne sont pas les créanciers privés qui renâclent (ils n’ont en réalité presque pas été sollicités), mais des Etats qui pourraient profiter de ces moratoires. Certains ministres des Finances africains redoutent en effet de perdre la confiance des marchés qu’ils ont eu tant de mal à acquérir aux cours des dernières années.
En théorie, le report d’échéances de remboursement consenti par un prêteur public bilatéral (le plus souvent un Etat) n’a pas d’incidence sur la notation de la dette du bénéficiaire de ce report, mais Moddy’s a tout de même placé mi-juin sous surveillance la Côte d’Ivoire et le Sénégal qui tous deux ont exprimé le souhait de bénéficier de ce report d’échéance.
L’agence de notation américaine a eu beau préciser que la dégradation n’interviendrait qu’en cas de rééchelonnement des créances privées, ce simple signal est susceptible de fragiliser la signature des deux premières économies de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).
Doublement de la part des dettes privées en 10 ans
Au cours de la dernière décennie, les Etats africains ont doublé leurs engagements auprès du secteur privé pour financer leur développement. Selon les informations de Banque mondiale, de 2008 à 2018 la part de la dette privée (créanciers obligataires, banques commerciales et autres créanciers privés) est passée en Afrique subsaharienne de 22% à 43%.
C’est seulement en 2018 que, pour la première fois, huit Etats d’Afrique subsaharienne ont pu avec succès émettre des obligations de long terme (30 ans). Encore l’ont-ils fait à des taux en moyenne plus élevés de sept points de pourcentage que les pays riches.
Cette question a fait l’objet d’une controverse entre deux membres importants de la CEDEAO, le Bénin et le Sénégal. Le 23 avril, le magazine Jeune Afrique a publié une tribune de Romuald Wadagni, ministre de l’Economie et des Finances du Bénin, intitulée «Covid-19 : pourquoi l’allègement de la dette africaine n’est pas la solution». Certes, Romuald Wadagni reconnaît qu’un moratoire permettrait de dégager des ressources budgétaires nécessaires à la lutte contre les effets économiques de l’épidémie de COVID-19, mais il y voit de sérieux inconvénients : «Nos pays subiront un effet induit sur la perception de leur qualité de crédit […] Un moratoire pourrait même être considéré […] comme un événement de défaut par les créanciers privés, qu’il soit voulu ou subi et quand bien même il ne concernerait que les créanciers publics bilatéraux.»
Un dissident à la CEDEAO
Le jour même, la CEDEAO s’était réunie par visioconférence pour une session extraordinaire et avait appelé dans son communiqué final à «soutenir l’initiative de l’Union africaine de négociation avec les partenaires pour une annulation de la dette publique et une restructuration de la dette privée des pays Africains».
Cinq jours plus tard, le Sénégalais Abdoulaye Daouda Diallo, ministre des Finances et du Budget répond à son homologue béninois qu’«Annuler la dette des pays africains est vertueux et bien fondé». Dans ce texte il soutient la position de la CEDEAO, rappelle que son pays n’a jamais fait défaut sur sa dette, et en déduit que «l’appréciation, en termes de dégradation de la perception des créanciers sur les pays africains, est à relativiser».
En revanche, pour le magazine Financial Afrik, les agences de notation auront fait office de juges de paix dans le débat africain sur l’opportunité ou non d’annuler la dette. Il souligne aussi que «pour n’y avoir pas souscrit, le Bénin vient de voir la reconduction de sa note B+ par l’agence Standard and Poor’s, la perspective restant stable».
Contrairement à l’Europe qui aura dû attendre la création de l’euro pour débattre d’une stratégie financière commune, l’Afrique de l’Ouest a ouvert le débat bien avant que l’eco, qui doit succéder au Franc CFA, ne devienne une réalité.
Ivan Lapchine