Economie

Coronavirus : comment la crise remet le revenu universel au goût du jour

Avec la récession qui s’annonce et son impact sur l’emploi, l’idée d’un revenu minimum pour tous refait surface. A l’heure où le débat s’installe aux quatre coins de l’Europe et au-delà, la France devra-t-elle suivre le mouvement ?

«Tous les pays vont regarder ce qui se passe en Espagne. Si l’expérience réussit, ça suivra naturellement». Marc de Basquiat, ingénieur et économiste en est persuadé : cette crise du coronavirus pourrait être un déclencheur pour le revenu universel. A la tête de son Association pour l’Instauration d’un revenu d’existence (AIRE), il parie sur une «accélération» du phénomène qui devrait faire, selon lui, de nombreux émules à travers le monde.

Pour l’heure, le projet espagnol n’en n’est qu’à ses débuts. Il a suffi que la coalition de gauche au pouvoir affirme vouloir mettre en place «dès que possible» un revenu garanti pour faire face à la crise du Covid-19, pour que l’idée resurgisse et fasse débat. A Madrid, durement touchée par l’épidémie, on parle d’un «large consensus» au sein du gouvernement pour la création d’un «revenu minimum vital» qui serait une prestation de la Sécurité sociale. Destiné dans un premier temps aux plus fragiles qui ont perdu leur emploi, il aurait pour vocation à devenir permanent. Pas de montant officiel à ce stade, mais selon le quotidien El País, il pourrait s’élever à 440 euros par mois. De quoi survivre le temps de la crise.

Mais l’Espagne n’est pas la seule à parler de revenu universel en ces temps de confinement forcé. Au Royaume-Uni, 170 parlementaires de tout bord demandent un «revenu universel d’urgence», alors qu’en Allemagne, un grand quotidien de Francfort plaide pour une allocation de base de 1 000 euros par mois, pendant 6 mois, destinée aux indépendants privés d’emploi. Quant aux Etats-Unis, c’est la solution d’un chèque de 1000 dollars pour tous les foyers touchés qui a été retenue, première application concrète de «l’hélicoptère monétaire» théorisé par l'économiste monétariste Milton Friedman.

Parlent-ils tous de la même chose ? Pas vraiment avertit David Cayla, enseignant-chercheur à l’Université d’Angers (Maine-et-Loire). Pour l’économiste, l’initiative espagnole n’a rien d’universel : «Ils ne vont pas payer tout le monde, y compris ceux qui ont encore des revenus comme des loyers. C’est un minimum pour ceux qui n’ont plus d’argent. C’est juste une autre manière d’organiser la gestion de la crise.» Quant à l’idée d’un revenu universel s’imposant comme une évidence avec cette crise, notamment en France ? Là encore, David Cayla est sceptique. Il invite à ne pas confondre compensation et assistance. «Je ne vois pas comment on pourrait le faire en France où l’on indemnise déjà les salariés», via le chômage partiel.

Un point de vue partagé par Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE. Lui non plus n’est pas un grand fan du revenu universel qu’il juge beaucoup trop cher et irréaliste. Son coût ? L’économiste l’estime à 720 milliards d’euros par an, soit le tiers du PIB français, «totalement invraisemblable» à ses yeux ! Pour lui, il suffirait d’adapter le RSA qui existe déjà en simplifiant son attribution : «On pourrait imaginer que le RSA soit donné plus généreusement dans la période actuelle, et qu’il soit augmenté pour se rapprocher des 1000 euros. Il irait plus largement aux non-salariés très frappés par la crise.»

Marc de Basquiat, quant à lui, défend une solution plus inédite : 500 euros par mois et pour tous, sans conditions, mais amputés de l’impôt sur le revenu dont tout le monde serait redevable. Moins on a de revenus, plus l’impôt est faible, et plus on maximise ses 500 euros. La définition selon lui d’un vrai revenu d’existence. «Pour ceux qui d’habitude travaillent dur sur les chantiers et qui sont à l’arrêt pour la première fois de leur vie, ça n’est pas de l’assistanat. 500 euros par mois, c’est pas glorieux, mais ça aide à garder la tête hors de l’eau !»

Alors avec cette crise du coronavirus, la France va-t-elle succomber au revenu universel, sous une forme ou sous une autre ? Pour Henri Sterdyniak, c’est peu probable : «En France, on a déjà un système très protecteur, on n’a donc pas besoin de donner 1 000 euros par mois à tout le monde. Mieux vaut se concentrer sur ceux qui en ont vraiment besoin.» David Cayla, lui aussi est de cet avis, même s’il reconnaît que les dispositifs actuels, du type RSA, sont loin d’être satisfaisants. «Un revenu universel pérenne pour relancer la consommation, je n’y crois pas du tout. Pour consommer, il faut de l’offre en face, sinon, cela n’a pas de sens. Mieux vaut mettre cet argent dans les services publics plutôt que dans la consommation marchande.»

Mais au-delà du confinement et de la crise ? Marc de Basquiat croit en son idée. «Cette crise nous montre que l’on est tous dépendants les uns des autres. On a beaucoup caricaturé en disant : donnez de l’argent et vous allez faire des paresseux, alors que c’est l’inverse ! Avoir un socle de revenus permet de se nourrir pour exister et aller travailler.» Enfin quand on le pourra…