L'or européen voyage d'Ouest en Est. À l'heure où le vieux continent cherche à tous prix à gagner son indépendance financière, notamment vis-à-vis des super puissances que sont la Chine et les États-Unis, le métal montre une santé étonnante sur les cours de la bourse, attirant la convoitise de chacun.
De l'Europe à l'Asie
«Il est virtuellement impossible de se procurer de l'or physique à Londres», explique à Bloomberg Peter Hambro, actionnaire et cofondateur de Petropavolsk, une compagnie minière spécialisée dans l'or et côtée en bourse. Et pour cause : «il y a des demandes en permanence de la part de la Chine et de l'Inde d'acheter des l'or physique», explique Hambro soulignant que «la valeur physique [le poids de l'or – NDLR] sera toujours plus importante que la valeur virtuelle, qui n'est faite que de promesses».
En juin 2015, la Chine avait procédé à une forte dévaluation du Yuan, tout en encourageant ses citoyens à acheter de l'or. La Banque Populaire de Chine a ainsi vu ses réserves d'or augmenter de près de 16 tonnes, alors que ses réserves de change sont descendues sous la barre des 100 milliards de dollars. Selon Hambro, agir de telle sorte «est une promesse de stabilité, une assurance de richesse». «Le marché virtuel, celui de l'argent papier, pourrait un jour s'effondrer et mener à une clôture financière», tandis que l'or malgré des taux variables, reste une denrée physique, symbole éternel de richesse.
L'Empire du milieu n'est pas la seule puissance à préférer le métal jaune à sa devise papier. En Inde, alors que la Roupie continue à perdre de sa valeur face au dollar – une tendance ininterrompue depuis 2013 - l'attrait de l'or est de plus en plus important. Les exportations du métal de Londres vers New-Delhi ont été 50% plus importantes durant l'été 2015 que 2014. Un phénomène qui s'explique par une baisse chronique de la Roupie associée à une augmentation imminente des prix locaux. Le mois de septembre est la saison est mariages, en Inde, et le mois de novembre celui du Festival Diwali, un événement majeur dans le monde indien. Des points forts de la vie indienne qui expliquent ce besoin aussi soudain que pressant de posséder du métal physique.
De l'Amérique à l'Europe
Si les réserves d'or européennes se vident, notamment à Londres, principale plaque tournante du métal sur le vieux continent, celui-ci n'est pas encore en rupture de stock. C'est aux États-Unis que se cache le reste de nos lingots. Plus précisément dans les coffres de Réserve Fédérale de New-York (NY Fed), où dorment près de 6 000 tonnes d'or. Si ce poids représentent une somme importante quand traduite en dollars (plus de 213 millions de dollars), c'est néanmoins la plus faible quantité d'or européenne entreposée à la NY Fed depuis 20 ans.
En effet, l'Europe rapatrie son métal jaune. L'Allemagne avait lancé la tendance en 2012, suivie par la Hollande, la France, la Belgique et l'Autriche. En deux ans, c'est 250 tonnes d'or qui ont traversé l'Atlantique pour retourner dans les coffres du vieux continent. Aujourd'hui, c'est la Banque Centrale Européenne (BCE) qui demande un retour de ses lingots.
La forte demande d'or physique venant de la Chine et de l'Inde n'est pas étrangère à cette tendance. Londres se vide plus vite que grandit la gourmandise de Pékin et New-Delhi, et la demande est constante en provenance d'Asie. La problématique de réponse à la demande, enjeu essentiel de toutes les places boursières du monde, est partiellement responsable de cette volonté européenne de rapatrier ses lingots depuis les USA.
Un autre facteur vient expliquer ces données : la volonté européenne de gagner en indépendance financière vis-à-vis des États-Unis. La tendance est même mondiale : le marché de l'or, qui concurrence celui des actions papiers, gagne du terrain sur les places financières. En mai 2015, la Chine créait un premier marché dédié à l'or physique, basé à Shanghai. La «route de la soie de l'or» chinoise a maintenant atteint la Russie, l'Afrique du Sud et plusieurs pays émergents. Une voie que l'Europe semble vouloir suivre, avec néanmoins plus de parcimonie. Si le vieux continent veut récupérer ses lingots à tout prix, les places boursières européennes continuent à maintenir les taux du métal à un niveau relativement bas, dénotant une volonté de conserver le système boursier classique. Un élément est en effet à prendre en considération : troquer l'action papier pour l'or physique, c'est aussi sortir de l'hégémonie du dollar. Un acte fort d'un point de vue financier, mais aussi d'un point de vue géopolitique. Un pas que l'Europe ne souhaite pas franchir, alors même que l'idée d'utiliser l'or comme devise d'échange standard devient chaque jour plus populaire de part le monde.