Les entreprises françaises sont-elles suffisamment protégées des abus de la justice américaine (amendes colossales et procédures contestables) par les lois de la République ? Apparemment non, si l’on en croit la Garde des Sceaux et ministre de la Justice Nicole Belloubet, qui introduisait vendredi 25 octobre un colloque sur les procédures extraterritoriales organisé à l’Assemblée nationale par le groupe parlementaire la République en marche.
Rassemblant de nombreux juristes des secteurs public et privé, cette manifestation avait invité, entre autres personnalités, l'ambassadeur de Cuba en France Elio Rodriguez Perdomo (interviewé sur RT France) à participer à la table ronde sur le renforcement des outils européens. Le colloque devait dégager des pistes de réformes de l’appareil législatif français pour «rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger [leurs] entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale» selon le titre du rapport explosif remis fin juin au Premier ministre par le député LREM de Saône-et-Loire Raphaël Gauvin.
Dès l’introduction de ce document, Raphaël Gauvin dresse le constat d’une situation particulièrement sérieuse : «La règle du droit [qui avait] de tout temps, servi d’instrument de régulation, […] est devenue aujourd’hui une arme de destruction dans la guerre économique que mènent les Etats-Unis contre le reste du monde, y compris contre leurs alliés traditionnels en Europe.»
Pour l’auteur du rapport ces procédures sont contestables et violent la souveraineté des pays dont ces entreprises sont ressortissantes. Quant aux amendes infligées, elles sont disproportionnées et semblent avoir pour but de fragiliser les entreprises non américaines dans la compétition internationale.
Entreprises otages d'un processus de «négociation de façade»
Raphaël Gauvin rappelle que les enquêtes sont conduites sous le contrôle des procureurs américains, eux-mêmes placés sous l’autorité directe du pouvoir exécutif et que les poursuites engagées semblent être motivées économiquement et les cibles choisies à dessein. Dans ces procédures, les entreprises françaises sont prises en otage dans un processus de «négociation de façade», aggravé par un chantage à l’accès au marché américain. In fine, elles n’ont d’autre choix, selon l’auteur du rapport que de «s’auto-incriminer en payant des sommes astronomiques au Trésor américain».
Pour donner une idée de l’ampleur du préjudice, Nicole Belloubet rappelait en ouverture du colloque mentionné plus haut que les amendes infligées, il y a cinq ans, à BNP Paribas avaient atteint un montant en milliards d’euros proche du budget annuel de son ministère.
Mais, pour la ministre, cette situation tient aussi, en partie, aux lois françaises qui n’accordent pas aux responsables juridiques français la même protection que celle dont disposent leurs homologues dans les entreprises anglo-saxonnes. La ministre a également évoqué la loi de blocage de 1968, «systématiquement contournée».
La loi de blocage systématiquement contournée
Rédigée à l’origine pour faire face à l’extraterritorialité des sanctions américaines contre Cuba, elle n’a semble-t-il jamais été appliquée. Son but : imposer aux autorités judiciaires qui enquêteraient sur des entreprises françaises une coopération avec le ministère français de la Justice en interdisant aux entreprises françaises de répondre directement à un procureur des Etats-Unis.
Lors du colloque à l’Assemblée nationale les organisateurs avaient également prévu une table ronde sur «le renforcement des outils européens». Or, dans le cas particulier de l’Iran, on a déjà pu constater la faiblesse des tentatives européennes de parer les sanctions unilatérales des Etats-Unis. Dans un précédent rapport parlementaire d’information rendu en 2016, sous la présidence du député (LR) Pierre Lellouche, les auteurs plaidaient pour une implication plus grande de la Commission européenne mais doutaient qu’elle ait finalement la volonté d’accepter la confrontation avec les Etats-Unis notamment raison du «poids relatif qui y est celui des pays les plus atlantistes».
Mais depuis ce dernier rapport, une nouvelle étape a été franchie et, les entreprises doivent désormais s’apprêter à faire les frais d’une nouvelle arme dont s’est dotée récemment l’arsenal juridique américain, le Cloud Act. Promulguée en mars 2018, cette nouvelle loi impose aux grands hébergeurs de données de livrer à la justice américaine toutes les informations qu’elles stockent sur les entreprises, quel que soit le pays où se trouve le serveur, sur simple requête du DOJ (Department of Justice), le ministère de la Justice des Etats-Unis. Or, comme le souligne l’auteur du rapport remis au Premier ministre, toutes ces entreprises sont américaines.
Jean-François Guélain