La campagne pour l’élection du successeur de feu le président Béji Caïd Essebsi s’achève dans un contexte économique et social difficile pour une majorité des Tunisiens. Certes, depuis 2018, l’angoisse sécuritaire liée au terrorisme islamiste avait baissé et permis au tourisme de reprendre, mais les attentats de la fin juin ont montré que la menace n'avait pas disparu. Quant au chômage il frappe 15% de la population, notamment les jeunes diplômés, les femmes et les populations éloignées des centres urbains.
Surtout, en 2019 l’inflation a grimpé à 7,5% par an. Un rythme deux fois plus élevé que ce qu’a connu le pays depuis le milieu des années 1990, et qui l’a empêché de profiter des fruits d’une croissance qui se redresse légèrement depuis quatre ans. En effet, elle est passée de +1 % en 2015 à +2,7% attendus en 2019.
Mais entre-temps, la dette publique est passée de 47 à 83 milliard de dinars (de 15 à 26 milliards d’euros env.). Et l’Etat doit consacrer une importante partie (10%) de son budget, chroniquement déficitaire, à financer cette charge élevée équivalant désormais à plus de 70% de son PIB contre 55,4% en 2015.
Cette dégradation correspond pour une bonne part à la dépréciation du dinar tunisien sur la même période. Mais selon le FMI, cette dette a aussi servi à financer les dépenses courantes comme les salaires de la fonction publique et les aides à l’achat d’énergie.
A propos des salaires de la fonction publique, l’institution internationale souligne dans son dernier rapport sur la Tunisie qu’ «ils constituent de loin la plus grosse dépense publique, absorbant la moitié du budget total, ou encore 15% du PIB de la Tunisie, ce qui représente l’un des ratios les plus élevés au monde».
40% de fonctionnaires en plus depuis la Révolution du Jasmin
Cette situation est le résultat d'une masse salariale en expansion rapide – les effectifs ont augmenté de 40% depuis la chute de Ben Ali – suivie par des augmentations de salaire répétées qui ont aussi nourri l’inflation.
Quant aux subventions pour faire face aux coûts de l’énergie, elles pesaient en 2017 plus que les programmes sociaux pour faire reculer la pauvreté ; elles sont responsables de la moitié du déficit budgétaire, et profitent surtout aux plus riches. Plus on a une grosse voiture et plus on se sert d’un climatiseur, plus on reçoit d’aides de l’Etat.
Et c’est ainsi, encore selon les calculs du FMI, que les 20% les plus riches des Tunisiens reçoivent 28% des subventions, deux fois plus que les 20% les plus pauvres qui n'en reçoivent que 14%. Ces aides constituent en outre une incitation à creuser le déficit du commerce extérieur de la Tunisie, laquelle importe une majorité de l’énergie qu’elle consomme. Toutefois, en 2019, les aides sociales dirigées vers les plus pauvres ont rattrapé les subventions aux prix de l’énergie en représentant 2,9% du PIB.
Cités par la publication tunisienne L’économiste Maghrébin, les analystes de la société de gestion d’actifs et d’ingénierie financière Tunisie Valeurs dressent un bilan sévère des politiques économiques menées depuis la Révolution du Jasmin et estiment que «neuf ans après la Révolution, l’économie tunisienne ne s’est toujours pas fixée de cap».
Ils estiment aussi que le gouvernement se trouve face à «des marges de manœuvre de plus en plus limitées». Par exemple, la politique monétaire de relèvement des taux destinée à freiner l’inflation pèse, par contrecoup, sur l’investissement (les crédits aux entreprises sont plus chers) et bride une croissance, qui bien que supérieure à celle qu’on observe par exemple en Europe, est insuffisante à résorber le chômage.
Enfin, mais c’est peut-être passager et lié à l‘attentisme économique qui encadre toute élection, la croissance semble s’être carrément arrêtée au second semestre 2019. Et, en décembre 2018, les immolations par le feu de désespérés qui avaient marqué le début de la Révolution ont repris, un signe inquiétant pour le pouvoir.
Jean-François Guélain