Economie

Airbus : 50 ans pour détrôner Boeing

Créé à partir d'un accord franco-allemand, signé il y a 50 ans au salon du Bourget, Airbus a remporté son pari : détrôner Boeing mais aujourd'hui le constructeur doit réussir un défi technologique : faire voler des avions sans polluer.

«Aujourd'hui, Airbus produit la moitié des grands avions commerciaux dans le monde et poursuit des activités florissantes dans les domaines des hélicoptères, de la défense et de l'espace», résume Guillaume Faury, le nouveau président du groupe aéronautique, dans un communiqué intitulé «Sans l’Europe, auriez-vous parié sur Airbus ?» et publié pour l’occasion du 50e anniversaire d’Airbus.

Dans ce texte, celui qui a pris la succession de l’Allemand Tomas Enders raconte : «Le 29 mai 1969, les ministres allemand et français adoptent une nouvelle approche : un partenariat entre pays européens, auxquels se rallieront par la suite l'Espagne et le Royaume-Uni, pour développer le premier avion Airbus, l’A300.»

En réalité, la France, l’Allemagne, et aussi le Royaume-Uni avaient donné le départ de l’aventure d’un avion de ligne européen deux ans plus tôt en signant le Protocole d'accord lançant la phase de définition du projet d'Airbus européen… mais, le gouvernement britannique s’en est retiré fin 1968.

Le 18 décembre 1970 l’Allemagne et la France créent finalement Airbus industries, un groupement d’intérêts économiques (GIE) de droit français qui regroupe les partenaires industriels européens du programme. Au cours des années suivantes, de nouveaux avionneurs viennent rejoindre le GIE : l’espagnol CASA en décembre 1971 et British Aerospace en janvier 1979. Le 15 avril 1974, un Airbus A300 effectue son premier vol commercial pour Air France entre Paris et Londres. Cette année là, Airbus livre quatre appareils, pendant que Boeing en livre près de 200.

Airbus A320Neo contre Boeing 737 Max

Depuis, Airbus est devenu une société par actions dont les Etats français, allemand et espagnol détiennent respectivement 11,1%,11% et 4,6% du capital, le reste étant aux mains du public et de fonds de pensions. Dès le départ Airbus a été conçu pour être une réponse à l’aéronautique américaine qui dominait à l’époque de sa création plus de 80% du marché mondial. Depuis le début des années 2000, le constructeur aéronautique européen fait à peu près jeu égal avec Boeing et a livré 800 appareils en 2018 contre 806. Il devrait vraisemblablement repasser devant Boeing en 2019, et surtout profiter de l’affaiblissement terrible de Boeing à la suite des crashs successifs de son 737 max conçu pour concurrencer l’A320Neo, fer de lance de l’avionneur européen.

Les gouvernements successifs des Etats-Unis ont perçu dès le départ la menace contre leur suprématie que constituait l’initiative européenne sur le marché de l’aéronautique commerciale. Dans Airbus, la véritable histoire, (Editions Privat, Toulouse 2005) Pierre Sparaco affirme que c’est Washington qui, en 1977, a fait capoter le premier contrat d’Airbus Outre-Atlantique, lequel prévoyait l’acquisition, par la compagnie Western Airlines, de 8 A300 pour remplacer des Boieng 707 et 727 vieillissants.

Dès 2005 les Etats-Unis et l’Union européenne s’affrontent dans d’interminables procédures auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour dénoncer mutuellement des subventions qui fausseraient la concurrence sur le marché mondial. Or le 8 avril 2019, le contentieux prend un tour plus sérieux quand le représentant au commerce des Etats-Unis (United Stade Trade Representative-USTR) publie une liste de produits agricoles et industriels européens qui pourraient se voir taxés aux Etats-Unis pour un montant équivalent à 10 milliards d’euros.

Tous les coups sont permis

Cette administration rattachée au président des Etats-Unis justifie cette mesure par les subventions que verserait ou aurait versé l’Union européenne (UE) et certains de ses Etats membres au constructeur aéronautique Airbus. Selon les estimations du bureau de l’USTR, ces subventions causeraient chaque année aux Etats-Unis un préjudice commercial équivalent au montant des taxes douanières décidées sur les produits européens.

En avril 2018, une note de la DGSI que s’était procurée le Figaro alertait les autorités françaises sur l’espionnage par les Américains des fleurons de l’industrie française à travers plusieurs canaux dont les cabinets d’avocats américains qui conseillent des entreprises pour se mettre en conformité avec les lois américaines. Selon le Figaro, la DGSI aurait expliqué dans cette note :  «Dans un contexte très concurrentiel, où les Etats-Unis se prêtent à des manœuvres pour favoriser Boeing sur des marchés prometteurs, le groupe Airbus connaît des difficultés conjoncturelles depuis quelques années pour plusieurs de ses programmes (A380, A320, A400M). L'avionneur européen est également vulnérable sur le plan judiciaire et cherche à se mettre en conformité afin d'éviter de lourdes sanctions».

Le Brexit constitue un autre obstacle dans l’aventure industrielle d’Airbus qui dès sa conception prévoyait une répartition des tâches entre les trois principaux pays partenaires : le moteur aux Britanniques, la cabine de pilotage au Français et le fuselage aux Allemands. Ainsi, le président Tom Enders n’a pas hésité à faire valoir le poids économique et social d’Airbus au Royaume-Uni (25 sites, 14 000 emplois directs et plus de 100 000 emplois et indirects) pour faire pression sur le gouvernement britannique pour qu’il négocie dans les délais un accord de sortie de l’Union européenne.

Vers les «premiers avions décarbonés»

En cinquante ans Airbus est aussi devenu une entreprise mondiale présente bien au-delà de l’Europe. En 2015, le groupe a annoncé la création à San Jose, en Californie, de son centre d’innovation A3 «chargé d'exploiter l'écosystème de la Silicon Valley pour rechercher des opportunités de rupture technologique, de modèle économique, de fabrication et autres, dans le but de perturber Airbus Group et ses divisions, ainsi que le reste du secteur».

Airbus s’engage très fortement dans la préparation des technologies qui vont permettre d’avoir à l’horizon de la prochaine décennie les premiers avions décarbonés

A Shenzen, en Chine du Sud, Airbus a inauguré en février Airbus China Innovation Centre (ACIC), son deuxième centre de recherche pour l’innovation dans cinq domaines clés : laboratoire de matériel informatique, expérience en cabine, connectivité, innovation en matière de fabrication et mobilité aérienne en milieu urbain. Un projet implique même une collaboration avec Huawei et China Mobile afin de fournir une connectivité d’avion abordable à large bande passante. Surtout au lendemain d’un scrutin européen qui a vu les bons scores des partis se revendiquant de l’écologie, le prochain défi que doit aborder Airbus est celui de la réduction de l’empreinte carbone du secteur aéronautique qui pourrait en Europe faire l’objet prochainement d’une taxe sur le kérosène embarqué. Un cauchemar pour les clients d’Airbus que sont les compagnies aériennes.

Interviewé par téléphone le 29 mai sur RTL, Guillaume Faury expliquait d’abord que le transport aéronautique ne représente que 2,5% de l’ensemble des émissions de gaz carbonique et que ce secteur est déjà soumis à de nombreuses taxes. Il confirmait cependant que le développement vers l’hybride était un axe stratégique et déclarait : «Airbus s’engage très fortement dans la préparation des technologies qui vont permettre d’avoir à l’horizon de la prochaine décennie les premiers avions décarbonés.» Une semaine auparavant, le groupe européen avait annoncé le lancement avec la compagnie aérienne scandinave SAS d'un partenariat afin d'étudier le marché potentiel des avions hybrides et électriques.