Economie

Pouvoir d’achat : Que choisir remet en cause les chiffres officiels

La revue Que choisir relance la controverse sur l’évolution du pouvoir d’achat en avançant d'autres chiffres que ceux de l'Insee. L’organisme public reconnaît lui-même que ses indices ne reflètent pas toujours les situations individuelles.

Dans un article intitulé «Hausse des prix-Le grand matraquage» et publié dans son numéro daté de février, la revue Que choisir met en doute les estimations de l’Insee sur l’inflation ainsi que les annonces du gouvernement sur le pouvoir d’achat. Par exemple, Que choisir a calculé une hausse des prix de 5% depuis 2014, supérieure au SMIC (+4,6%) alors que l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ne l’estime qu’à 3,65%.

L’organe de l’Union fédérale des consommateurs (UFC), outre ses propres calculs, s’appuie sur les conclusions d’une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) selon laquelle les ménages ont perdu, en moyenne, 440 euros de revenu disponible par an entre 2008 et 2016. Mathieu Plane, directeur adjoint de l’OFCE, cité par Que choisir, déclare à ce propos : «Il faut remonter très loin en arrière, au moins au début des années 1990, pour observer un tel phénomène.»

Le plus étonnant est que l’Insee semble partager en partie ce point de vue. La revue cite par exemple les propos d’un des responsables de l’institution selon lequel «en moyenne, les Français n’ont pas eu de gain de pouvoir d’achat depuis dix ans». Ce dernier précise que le pouvoir d’achat par unité de consommation a augmenté sur cette période de 0,1% par an alors qu’il augmentait de 1,9% par an avant la crise de 2008.

Plusieurs indices pour calculer le pouvoir d'achat

L’explication est complexe et rend les comparaisons difficiles, car l’Insee produit deux indicateurs de pouvoir d’achat différents : un indice national et un indice par «unité de consommation» tenant compte de la taille des ménages. Dans ce second indice, le premier adulte représente une unité tandis que les autres membres de foyer représentent 0,5 unité au-dessus de 14 ans et 0,3 unité en dessous.

Or, l’Insee note que certaines dépenses sont mises en commun dans les ménages. Ainsi, les besoins d'un ménage ne s'accroissent pas en stricte proportion de sa taille. Lorsque plusieurs personnes vivent ensemble, il n'est pas nécessaire de multiplier par le nombre de personnes tous les biens de consommation pour garder le même niveau de vie, en particulier, les biens de consommation durables tels que le réfrigérateur ou la machine à laver, mais aussi l’abonnement à internet ou à un fournisseur de gaz et d’électricité.

Et selon l’institut, la taille des ménages tend à se réduire. Enfin, l’Insee rappelle dans ses fiches de méthodologie qu’«une hausse du pouvoir d'achat moyen n'est pas contradictoire avec une baisse pour une partie des ménages, et même une forte baisse pour certains d'entre eux».

Les leurres de l'«effet qualité»

Outre la question du pouvoir d’achat sous ses différentes formes (revenu disponible, pouvoir d’achat national moyen, pouvoir d’achat par unité de consommation…), l’Insee donne une évaluation officielle de l’indice des prix à la consommation (IPC), mieux connu sous le nom d'«inflation». Mais ce calcul tient compte d’un «effet qualité» qui prend en compte les évolutions des caractéristiques d’un produit.

Par exemple, si on paie un téléphone portable un certain prix puis qu’on le remplace par un appareil plus cher, mais dont la mémoire interne, par exemple, est plus importante, on ne considérera pas qu’il y a augmentation des prix. Ce que de nombreux économistes contestent. Par exemple, Philippe Herlin, dans Pouvoir d’achat, le grand mensonge (éd. Eyrolles, 2018) écrit : «Sur une longue durée, cet effet qualité donne des résultats incohérents : le prix d’un PC aurait ainsi été divisé par 20 depuis 1995 !»

Enfin, l’indice des prix à la consommation contient des postes de dépenses qui ne reflètent pas toujours l’impact de l’évolution des prix sur le budget des ménages. Par exemple, peu importe à la plupart des ménages que les prix des appareils électroménagers comme les réfrigérateurs ou machines à laver baissent, car on n’en achète pas tous les jours, contrairement à certains produits alimentaires. Pourtant, la baisse de ces biens d’équipement durables entre dans le calcul de l’inflation et la ferait donc baisser.

Décalage entre augmentation des prix et des salaires

L’Insee, a en outre révélé que la hausse constante des dépenses dites «contraintes» (loyer, assurances, abonnements, cantine…) pesait sur le revenu dit «arbitrable», c’est-à-dire sans le poids de ces dépenses. Pour essayer de fournir des indicateurs plus représentatifs, l’institut calcule désormais le pouvoir d’achat «arbitrable» des ménages et note que la part des dépenses contraintes ou «pré-engagées» n’a cessé d’augmenter, passant de 26,8% à 29,4% au cours des vingt dernières années. Mais là encore, ce n’est qu’une moyenne et l’Insee note : «La part des dépenses pré-engagées dans le budget est plus élevée pour les ménages à faibles revenus : elle passe de 22 % pour les ménages aisés à 38 % pour les ménages pauvres, selon une étude de la Drees de 2016.»

Mais surtout, l’enquête de Que choisir souligne le décalage entre la progression des salaires et celle des prix. Aujourd’hui, seul le montant du SMIC est indexé annuellement sur les prix, contrairement aux autres salaires qui ont cessé de l’être en France en 1983 (alors qu’ils le sont toujours en Belgique ou au Luxembourg). Ainsi, une hausse des prix annuelle de 1,7% prévue en 2019 par la Banque de France correspondrait à une baisse de pouvoir d’achat si les salaires ne suivaient pas en proportion. D’ailleurs, en août 2018, le ministère du Travail a noté que l’indice du salaire mensuel de base (hors primes et heures supplémentaires, avait sur un an progressé moins vite que les prix à la consommation. Il considérait même que c’était la première fois en six ans que les augmentations de salaire ne couvraient pas la hausse des prix.

L’Insee est conscient que beaucoup de Français ne reconnaissent pas leur situation personnelle dans les chiffres fournis régulièrement et explique par exemple dans une note de méthodologie : «La croissance du pouvoir d'achat mesurée par l'Insee se heurte quelquefois au scepticisme. Le malentendu, incarné par un «pouvoir d’achat ressenti» se nourrit largement de la confrontation entre un total national et des situations individuelles.»

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