Dans son livre Le Piège américain, écrit avec le journaliste Matthieu Aron, publié le 16 janvier par l’éditeur JC Lattès, Frédéric Pierucci affirme que «les poursuites américaines sont bien à l'origine de la décomposition d'Alstom».
Un an avant l'annonce du rachat de la branche énergie d'Alstom par l'américain General Electric (GE) pour «plus de 13 milliards de dollars» (environ 9,5 milliards d’euros au cours de l’époque), Frédéric Pierucci président de la branche Turbines d’Alstom est arrêté à New York pour une affaire de corruption en Indonésie datant du début des années 2000.
Convaincu qu'il n'a rien à se reprocher, d'autant qu'il a été blanchi par une enquête interne d'Alstom, le dirigeant croit à une rapide libération. Il affirme que la justice américaine visait d'abord le PDG du groupe.
«Ce que nous voulons, c'est poursuivre la direction générale d'Alstom et notamment M. Kron», lui aurait expliqué le procureur fédéral du Connecticut David Novick peu après son arrestation.
Il n'avait pas été prévenu par son entreprise que le Département de la Justice (DoJ) avait ouvert une enquête en 2009 sur l'affaire indonésienne, et il a la conviction que Patrick Kron «a voulu jouer au plus fin […] en faisant croire que l'entreprise collaborait, tout en faisant en réalité l'inverse».
Accusations contre Patrick Kron ancien président d'Alstom
«Je suis salement piégé, victime de la stratégie adoptée par Patrick Kron et réduit à l'état de pantin dans les mains de la justice américaine», estime celui qui sera licencié le 20 septembre 2013 par Alstom après avoir plaidé coupable.
Frédéric Pierucci affirme avoir compris le 24 avril 2014, date de l'annonce du rachat d'Alstom par GE, les véritables raisons de son arrestation. «En une fraction de seconde, tout s'éclaircit et j'ai enfin les réponses à certaines de mes questions qui me taraudent depuis des mois », écrit-il.
Et il explique : «M. Kron imagine peut-être avoir trouvé la solution pour échapper aux procureurs : vendre à GE l'ensemble des activités énergies et réseaux que les Américains convoitent depuis tant d'années.»
L'ancien PDG dément. Interrogé par le journal Le Monde le 15 janvier, il a répété, comme il l’a toujours affirmé, que la vente d'Alstom n'était «en rien liée aux poursuites judiciaires américaines».
Interrogée à l'Assemblée nationale par le député Olivier Marleix (LR), qui a présidé la commission d'enquête sur Alstom, Agnès Pannier-Runacher, ex-référente de En Marche! à Paris pendant la campagne présidentielle, devenue secrétaire d’Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire, défendait le même jour le rachat d’Alstom par GE.
Selon elle, le groupe français «n'avait pas la taille critique pour faire face à la concurrence» et «ses activités énergétiques n'étaient pas viables à long terme». Une analyse qui contredit les conclusions d’une enquête de la chaîne parlementaire LCP diffusée en décembre 2017 et qui révèle qu’un «rapport commandé en février 2014 confirme […] à Arnaud Montebourg que l'entreprise va plutôt bien et qu'il n'y a pas d'urgence à se restructurer.»
Arnaud Montebourg : «seul à batailler pour défendre les intérêts stratégiques français»
L'ancien cadre du groupe salue d'ailleurs le rôle d'Arnaud Montebourg, le ministre de l'Economie qui s'était opposé au rachat par GE, et était selon lui le «seul à batailler pour défendre les intérêts stratégiques français».
Dans son livre, l’ancien dirigeant d’Alstom Turbine Frédéric Pierucci, qui a fini de purger sa peine fin septembre 2018 après 25 mois de détention aux Etats-Unis, dénonce l'extraterritorialité de la justice américaine et souligne que les entreprises françaises ont déjà été ponctionnées de plus de 13 milliards de dollars par les amendes infligées par la justice américaine.
«Ce racket, car c'est bien de cela dont il s'agit, est inédit par son ampleur», affirme-t-il, rappelant que GE a racheté quatre sociétés dans ces conditions en dix ans.
La justice américaine a finalement condamné Alstom à payer une amende de 772 millions de dollars et a refusé que GE s'en acquitte comme il était convenu dans les accords de rachat.
«Au moins Kron aura réussi à éviter une hécatombe d'inculpations», commente Frédéric Pierucci qui ajoute : «Un petit groupe de dirigeants lui doit sans doute une fière chandelle et certains d'entre eux se sont partagés les millions de bonus accordés lors de la finalisation de l'accord avec GE».
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