Economie

Pôle emploi souffle ses dix bougies, mais ce n'est pas la fête

Créé sous Nicolas Sarkozy par la fusion de deux organismes, Pôle emploi devait devenir un modèle en Europe dans le domaine de la mise en relation des employeurs et des demandeurs d’emploi. Mais la réforme, mal pensée, s’est révélée un échec.

Il y a dix ans, les associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assedic) et l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) fusionnaient pour former Pôle emploi. Alors secrétaire d'Etat à l'Emploi, Laurent Wauquiez, chargé de superviser cette réforme, promesse de campagne de Sarkozy, proclamait l’ambition de «constituer d'ici trois ans le service public de l'emploi le plus performant d'Europe».

Jusque-là, les Assedic étaient des organismes privés employant 14 000 salariés chargés de la collecte des cotisations d’assurance chômage, de l’inscription et de l’indemnisation des demandeurs d’emploi. L’ANPE, organisme public de 30 000 agents, s’occupait du reclassement professionnel.

Mais le 5 janvier 2009 est officiellement lancé le nouvel organisme, avec son principe de guichet unique inspiré des Jobscentres Plus britanniques. La fusion a lieu quatre mois après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, et alors que le nombre de demandeurs d’emploi explose.

A l’époque, syndicats et salariés s’insurgent contre la principale idée de cette réforme menée à marche forcée : rendre les agents des deux organismes interchangeables, alors qu’ils exercent des métiers radicalement différents.

Même si le gouvernement de l’époque prétend rechercher l’efficacité et faciliter les démarches du demandeur d’emploi, on comprend vite qu’il est surtout question de réaliser des économies d’échelle entre les deux organismes et de fusionner, pour le réduire, le parc immobilier des deux organismes.

A l'époque, Hervé Chapron, est directeur général adjoint de Pôle emploi et vit la fusion de l'intérieur. Auteur du livre au vitriol Pôle emploi : Autopsie d'un naufrage (L’opportun, 2014) une fois à la retraite, il a lui-même été surpris par les difficultés rencontrées.

«Je pensais que ça allait être difficile, en réalité cela a été très, très, très difficile», explique-t-il cité par l'AFP, dix ans après. Pour lui «aucun objectif de départ n'a été atteint», qu’il s’agisse des effectifs, du budget ou du nombre de dossiers de demandeurs d’emplois gérés par les conseillers. 

La réforme est un échec, coûte une fortune, décourage les agents et quelques années plus tard, Pôle emploi est obligé de recréer deux filières, une pour l’indemnisation, l’autre pour l’aide à la recherche d’emploi. Un piteux retour à la case départ.

Pour David Vallaperta, élu CFDT au comité central d'entreprise, «l'organisation du travail a énormément changé en dix ans», mais il reconnaît qu'on est loin des 60 demandeurs par conseiller promis par la réforme et que «dix ans après, la question du sous-effectif est toujours là».

Selon les calculs de la CFDT, les conseillers pour l'accompagnement dit «guidé» (c'est-à-dire plus intense que «suivi» mais moins que «renforcé», selon les trois modalités existantes) ont chacun plus de 200 dossiers de demandeurs d'emplois à gérer dans plus de 50% des agences en France.

Plaintes d'agents pour harcèlement moral et mise en danger de la vie d'autrui

Dans les premières années, la fusion est mal vécue par les équipes et l’on observe des tentatives de suicide. Les syndicats dénoncent une organisation du travail «déshumanisée», alors que les chômeurs affluent au guichet.

Une enquête, après une plainte pour «harcèlement moral, mise en danger de la vie d'autrui, homicide involontaire aggravé et non-assistance à personne en danger» liée au suicide en 2012 d'une conseillère de 32 ans, est toujours en cours. Le syndicat CFTC, qui a déposé plainte aux côtés des parents de la jeune femme, avait recensé à l'époque 17 suicides d'origine professionnelle chez des salariés de Pôle emploi.

Entre-temps, le chômage de masse s’est enraciné en France. De 2008 à 2017, son taux (selon les critères de l’Insee) est passé de 7,1% à 9,4% après avoir atteint 10,4% en 2015. Mais la longueur des périodes d’inactivité augmente aussi de manière inexorable. Entre 2008 et 2017, le taux de demandeurs d’emploi depuis plus d’un an est passé de 2,6% à 4,2% et celui des demandeurs d’emploi dits de «très longue durée», soit plus de deux ans, est passé de 1,3% à 2,3%.