Economie

Avec les tarifs de Trump, la guerre commerciale mondiale a-t-elle commencé ?

En quelques mois, le président américain a accumulé les contentieux commerciaux avec la Chine, les principaux alliés des Etats-Unis dont leurs voisins au sein de l’Alena et l'Union européenne, ainsi que le Japon. Une menace pour l'économie mondiale.

Donald Trump a demandé le 18 juin à son administration d'identifier 200 milliards de dollars de biens chinois en vue d'instaurer des droits de douane supplémentaires de 10%. C’est la réponse du président américain aux mesures de rétorsion prises par Pékin quelques jours plus tôt, après une précédente salve de taxes américaines. Washington avait en effet annoncé le 15 juin des taxes de 25% sur 50 milliards de dollars de marchandises chinoises «contenant des technologies importantes», pour compenser ce que la Maison Blanche considère comme du vol de propriété intellectuelle.

Pékin avait immédiatement répliqué en annonçant des droits de douane «identiques» et appelant les autres pays touchés à engager une «action collective». Les Etats-Unis avaient déjà imposé unilatéralement des taxes de 25% sur leurs importations d'acier et de 10% sur celles d'aluminium, quelle que soit la provenance, et touchant donc également la Chine. L'administration Trump souhaite réduire de 200 milliards de dollars son déficit commercial vis-à-vis de Pékin, actuellement de 375 milliards de dollars. Elle souhaite par ailleurs restreindre les investissements chinois aux Etats-Unis.

Avec le Canada et le Mexique, partenaires des Etats-Unis au sein de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), les relations sont également tendues. Faute d’avoir bouclé en mai la renégociation de cet accord que Washington veut désormais mettre à jour tous les cinq ans, Donald Trump a imposé à ses deux voisins du Nord et du Sud des tarifs douaniers de 25% et 10% sur leurs exportations d’acier et d’aluminium vers les Etats-Unis. Au départ, Donald Trump les avait justifiés au nom de la «sécurité nationale».

Les Canadiens qui se sont engagés aux côtés des Etats-Unis pour combattre en Europe lors de la Seconde Guerre mondiale ont tiré argument de ce lien historique pour s’offusquer publiquement de cette explication. Au point que le Premier ministre Justin Trudeau était allé, à plusieurs reprises – en particulier lors de son discours de clôture de la réunion du G7 au Canada le 9 juin – jusqu’à déclarer les taxes américaines «insultantes».

La vengeance de Donald Trump contre Justin Trudeau

Cette réaction avait coûté au sommet le retrait spectaculaire de la signature américaine de la déclaration finale. Mais la colère de Trump est en outre en train de virer à la vengeance. 

C'était une erreur, cela va lui coûter beaucoup d'argent

L’AFP rapporte que sur la chaîne ABC, le président américain a raconté avoir suivi en direct, depuis Air Force One, la conférence de presse du dirigeant canadien. Pour Donald Trump, Justin Trudeau «n'aurait pas dû» dire que le Canada ne se laisserait «pas bousculer» par les Etats-Unis et que les tarifs américains étaient en «en quelque sorte insultants». «C'était une erreur, cela va lui coûter beaucoup d'argent», a averti le président américain. Le jour même de la conférence de presse incriminée, il avait sur Twitter exprimé son agacement en ajoutant à propos des déclarations de Trudeau : «C'est faible et malhonnête, nos tarifs sont une réponse à leurs 270% [de subventions] sur les produits laitiers.»

Le Canada a néanmoins confirmé des représailles pour juillet, mais le pays est désormais menacé d’une enquête du secrétariat américain au commerce sur son système d’aide à la production laitière que Trump dénonce comme «une subvention de 270%». Sont également visées les voitures américaines assemblées au Canada puis réexportées vers les Etats-Unis. Elles représentent près du tiers de l’excédent commercial du Canada au détriment de son puissant voisin. Cet excédent a atteint 17 milliards de dollars américains en 2017, soit 1% du PIB du Canada.

Pour sa part, Mexico a décidé, en réponse aux taxes de Washington sur l'acier et l'aluminium, d'imposer des taxes douanières équivalentes «sur divers produits» importés des Etats-Unis, dont certains aciers, des fruits et des fromages. 

Quelques jours auparavant, le 14 juin, l'Union européenne avait annoncé des mesures de rétorsion contre des dizaines de produits américains, pour répliquer aux taxes instaurées par Washington sur l'acier et l'aluminium. Ainsi la Commission européenne va imposer des taxes additionnelles, généralement à hauteur de 25%, sur une liste de produits fabriqués aux Etats-Unis, qu'elle avait préalablement présentée à l'OMC en prévision de la décision américaine. Cette liste comprend des produits agricoles (riz, maïs, tabac...) des biens en acier, ainsi que des véhicules (motos, bateaux...) ou du textile.  

2,8 milliards d’euros de taxes douanières européennes

Cette mesure qui entre en vigueur à partir du 22 juin vise à compenser, pour un montant de 2,8 milliards d'euros, les dommages générés par les taxes américaines. D'autres produits américains pourraient à l'avenir être également taxés par l'UE, pour 3,6 milliards d'euros supplémentaires, si celle-ci remporte un litige qui l'oppose aux Etats-Unis devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais les Européens redoutent désormais que Washington ne mette à exécution sa menace de taxer les voitures importées, une perspective angoissante en particulier pour l'industrie automobile allemande.

Enfin Paris, comme bien d’autres capitales européennes, est structurellement dans une position embarrassante vis-à-vis des Etats-Unis. En effet, le déficit commercial français ne cesse de se creuser depuis 15 ans et il atteint désormais 62,3 milliards d'euros pour les échanges de biens (38 milliards seulement si on compte les services) avec l'ensemble de ses partenaires commerciaux.

Une destination stratégique pour les entreprises françaises

Mais avec les Etats-Unis, la France enregistre au contraire un excédent qui a atteint 13 milliards d’euros en 2017 et connaît encore une progression nette au premier trimestre 2018. Depuis 1992, même au plus fort de la crise née du refus de Paris, sous Jacques Chirac, de participer à la guerre d’Irak en 2003, la France a toujours été bénéficiaire dans ses échanges de biens avec les Etats-Unis. On ne se fâche pas sans risque avec un si bon client. 

D'autant que ce 20 juin, l’Insee a annoncé des perspectives économiques revues à la baisse pour la France. La croissance du produit intérieur brut (PIB), qui était attendue à 1,9% pour 2018, ne dépassera finalement pas 1,7%. Un rythme insuffisant pour faire baisser significativement le taux de chômage plus bas que 8,8% d'ici la fin de l'année.

Certes, la hausse de 50% des cours du brut pendant les 12 derniers mois est pointée comme principal responsable de ce léger ralentissement. Mais, par la voix de sa présidente, la Française Christine Lagarde, le FMI annonce depuis des mois que les tensions commerciales pourraient menacer sérieusement la croissance mondiale. Et l'OCDE voit aussi de sérieux nuages s'accumuler à l'horizon.