Selon le rapport du 14 mai de l’ONG Oxfam intitulé «CAC 40 : des profits sans partage», réalisé avec la société coopérative Bureau d'analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic), «la France est le pays au monde où les entreprises cotées en Bourse reversent la plus grande part de leurs bénéfices en dividendes aux actionnaires».
Les groupes du CAC 40 ont ainsi redistribué, entre 2009 et 2016, 67,4% de leurs bénéfices aux actionnaires sous forme de dividendes, soit deux fois plus que dans les années 2000. Sur la même période ils n’ont en moyenne versé que 5,3% de leurs bénéfices aux salariés, les 27,3% restants étant réinvestis dans ces entreprises. Le rapport affirme aussi que la proportion des bénéfices reversés en dividendes aux actionnaires des 40 plus grandes entreprises de la Bourse de Paris est respectivement supérieure de 7, 12 et 19 points aux moyennes observées au Royaume-Uni, au Japon et aux Etats-Unis.
«Les richesses n'ont jamais été aussi mal partagées depuis la crise au sein des grands groupes, qui choisissent délibérément une course aux résultats de court terme pour conforter les actionnaires et les grands patrons au détriment des salariés et de l'investissement», expliquait Manon Aubry, porte-parole d'Oxfam France, sur France Info, le 14 mai.
Cette course est «tirée par des fonds d'investissement, des fonds spéculatifs qui cherchent juste la rémunération dans les six mois, dans l'année», soulignait-elle, affirmant que le modèle français avait «pris le pas du modèle anglo-saxon pour même le dépasser».
Chez Engie et Veolia, deux entreprises dont l'Etat est actionnaire, les dividendes ont dépassé les bénéfices
Par exemple, le sidérurgiste ArcelorMittal, l'énergéticien Engie et le leader mondial de la gestion de l'eau Veolia sont, dans l'ordre, ceux ayant les taux les plus élevés de redistribution des bénéfices en dividendes aux actionnaires, selon le rapport. Or, ArcelorMittal a reversé des dividendes entre 2012 et 2015, alors que le groupe affichait des pertes, et Engie ainsi que Veolia, deux entreprises où l'Etat est actionnaire, ont reversé plus de dividendes que ce qu'elles ont réalisé en bénéfices, selon l’ONG.
Le rapport a suscité de vives réactions politiques sur Twitter. «Le partage des bénéfices des entreprises du CAC 40 entre 2009 et 2016 [...] illustre l'imposture absolue de la théorie du ruissellement chère à Emmanuel Macron. Voilà l'illustration de cette sécession des riches qu'encourage le nouveau pouvoir », écrit par exemple Benoît Hamon, ancien candidat du Parti socialiste (PS) à la présidentielle, aujourd'hui à la tête de Génération-s.
Pour La France insoumise (LFI), le rapport pointe une «exception française qui ne peut plus être tolérée : la richesse produite doit être partagée».
«On a un indice [le CAC 40] qui distribue beaucoup de dividendes», convient Loïc Dessaint, directeur général de Proxinvest, un cabinet d'analyse de gouvernance et de politique de vote, qui déclare avoir de plus en plus de clients investisseurs s'inquiétant de cette tendance et développant des politiques de distribution de dividendes responsables.
Mais Loïc Dessaint émet quelques bémols sur le rapport au motif que «pas mal d'entreprises françaises distribuent des dividendes en actions». Même si cela ne remet pas en cause les constatations du rapport de l’ONG qui pointe avant tout la faible redistribution des bénéfices aux salariés.
Le patronat et certains experts contestent la méthodologie du rapport, mais pas les chiffres
«La méthodologie d'Oxfam est très mauvaise», estime de son côté Patrick Artus, chef économiste chez Natixis et co-auteur d'un ouvrage intitulé Et si les salariés se révoltaient ?. Selon l'économiste, Oxfam ne s'intéresse qu'à la partie de la participation et de l'intéressement versés aux salariés sans tenir compte de l'intégralité des salaires. Or, selon lui, «en France, les salaires augmentent plus vite que la productivité». Ce qui revient à dire que les salariés perçoivent déjà une part des bénéfices sous forme d'augmentation de salaires.
L’économiste de Natixis reconnaît néanmoins qu’«il y a un vrai sujet qui est le partage des revenus entre les profits et les salaires, entre les salariés et les actionnaires». Le président du Medef, Pierre Gattaz, cité par l’AFP, a réagi le 15 mai lors de sa conférence de presse mensuelle en jugeant le rapport d’Oxfam «biaisé» et «politique». «On compare quasiment à toutes les pages des choux et des carottes, et on voit bien l'intention parfaitement politique de ce rapport», a-t-il poursuivi, tout en reconnaissant qu'il y avait des choses à «regarder» et à «essayer de comprendre», mais «avec neutralité» et «dans le cadre d'un environnement global».
Pourtant certains de ses arguments pour contester la pertinence du rapport laissent perplexes, mêmes des non-initiés. Ainsi, le patron des patrons explique, entre autres, que le dividende est «la rémunération d'un risque» ; qu'il faut «des actionnaires pour faire vivre» les entreprises et que «les actionnaires qui jouent, qui parient […] ont besoin d'une rémunération». Or, nulle part, le rapport ne suggère, dans les recommandations dont il est assorti, la suppression des actionnaires et des dividendes, mais seulement une répartition de la redistribution des bénéfices moins défavorable aux salariés.
Enfin, Jean-Charles Simon, l'un des candidats à la succession du président du Medef, dénonce sur Twitter une «fumisterie» au motif que le rapport compare le ratio dividendes/bénéfices des entreprises du CAC 40 avec le ratio dividendes/excédent brut d'exploitation des autres entreprises en France, soit des notions comptables différentes. Certes, cela permet de relativiser la conclusion d’Oxfam selon laquelle «[le] taux de redistribution des bénéfices au sein du CAC 40 est deux fois plus élevé que celui de la moyenne des entreprises françaises», mais pas la donnée principale du rapport selon laquelle les deux tiers des bénéfices des entreprises du CAC 40 ont été consacrés à la rémunération des actionnaires contre 5% au versement de primes aux salariés.
Limiter les écarts de salaires
Enfin, le rapport souligne l’envolée de l’écart de rémunération entre les dirigeants des entreprises étudiées et la rémunération moyenne dans ces mêmes entreprises. Il appelle aussi à «appliquer au maximum un facteur 20 entre la rémunération la plus haute et la rémunération médiane de l’entreprise». Or, d’après ses calculs entre 2009 et 2016 « les PDG du CAC 40 ont gagné en moyenne 105 fois le salaire moyen dans leurs entreprise », (à défaut de pouvoir calculer le ratio entre le salaire le plus élevé et le salaire médian en raison de la très grande difficulté à obtenir l’échelle des salaires dans ces entreprises).