Aristophil : une arnaque aux manuscrits de 850 millions d’euros proche de son épilogue

Aristophil : une arnaque aux manuscrits de 850 millions d’euros proche de son épilogue© Alain Jocard Source: AFP
Manuscrits (image d'illustration)
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Avec la mise en vente à Drouot, à partir de décembre, des quelque 135 000 manuscrits de la société Aristophil, devrait se clore l’histoire d’une escroquerie qui a dilapidé 850 millions d’euros d’économies de 18 000 épargnants.

L’étude de la maison de commissaires-priseurs Aguttes a fait savoir le 10 novembre à l’AFP que la vente aux enchères des 135 000 manuscrits et documents anciens de la collection de la société Aristophil, mise en liquidation judiciaire en 2015, commencerait le 20 décembre 2017 à Drouot. Parmi, ces manuscrits se trouvent d’innombrables trésors comme Le Manifeste du surréalisme, le testament de Louis XVI ou le manuscrit des Cent Vingt Journées de Sodome, écrit par le marquis de Sade à la Bastille en 1785, sur 20 mètres de papier réunis en un rouleau.


Cette vente sera la première d'une série d’au moins 300, étalées sur les six prochaines années – sans doute la plus importante dispersion, de mémoire de bibliophile. Pour les 18 000 épargnants qui avaient acheté à la société Aristophil pour un montant total de 850 millions d’euros de certificats d’indivision adossés à des manuscrits, c’est peut-être un mince espoir d’être un jour en partie indemnisés.


Fondée par Gérard Lhéritier en 1990, mais devenue réellement active à partir des années 2000, la société se basait sur des statistiques tout à fait exactes, pour vanter la stabilité d’un produit de placement (les manuscrits ou lettres autographes) qui croissait régulièrement en valeur, depuis la fin du XXe siècle, à un rythme d’environ 7% l’an.

135 000 manuscrits prestigieux et lettres autographes bientôt vendus aux enchères

Les éligibles à l’impôt sur la fortune y voyaient aussi une occasion de soustraire quelques dizaines ou centaines de milliers d’euros, tout fait légalement, au calcul de l’assiette de l’ISF. Pour ces derniers épargnants fortunés, peu importait en réalité le retour sur investissement, servi dès la souscription, par une réduction d’impôt.


A ses débuts, Aristophil faisait figure de société originale et créative investissant dans le patrimoine culturel. En 2013, ses ressources lui permettent de construire et financer, sous ses bureaux et salles de conservation, le Musée des lettres et des manuscrits (MLM) dans le superbe l'hôtel particulier de la Salle, boulevard Saint-Germain à Paris. A travers cette institution, Gérard Lhéritier acquiert la respectabilité ultime en co-éditant des ouvrages de bibliophilie avec Gallimard, comme L’Or des manuscrits, paru à l’automne 2014. Un titre particulièrement bien choisi mais funeste.

L’intervention de la Brigade financière met fin à l’escroquerie

Presque au même moment, le 18 novembre 2014, c’est un coup de tonnerre. Alertés depuis des mois par le Syndicat national de la librairie ancienne et moderne (SLAM), qui flaire une pyramide de Ponzi (montage financier où les nouveaux investisseurs payent les bénéfices des premiers, jusqu’à implosion du système), les policiers de la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE), investissent le musée.

Assistés de leurs collègues de la Brigade financière, ils lancent plusieurs perquisitions simultanées aux différentes adresses du groupe, au domicile du fondateur, Gérard Lhéritier, chez son expert-comptable niçois et plusieurs gestionnaires de patrimoine avec lesquels Aristophil est en affaires. Jean-Claude Vrain, le célèbre libraire de stars comme Johny Depp, Vanessa Paradis ou Dominique de Villepin, sera lui-aussi perquisitionné. 


Le fait est que le système Aristophil s’appuie, à des degrés divers sur le Tout-Paris qui fait sa promotion, mais aussi sur les plus prestigieux experts et libraires. Parmi eux, une «troïka» selon l’expression de la profession, rassemble justement Jean-Claude Vrain, Thierry Bodin et Alain Nicolas. Tous trois sont très honorablement reconnus pour leur expertise et propriétaires de prestigieuses librairies spécialisées dans le livre ancien et les manuscrits rares, au cœur du quartier latin. Leur rôle est déterminant. Car c’est avec leur caution qu’Aristophil estime la valeur des manuscrits ou lettres autographes qu’il vend ensuite, sous forme de certificats, aux épargnants auquel il fait miroiter des rendements annuels de 7% à 8% (même s’il a la prudence de ne pas s’y engager par écrit).

Un système proche des pyramides de Ponzi

Mais la valeur des lots est dès le départ tellement surestimée par rapport aux prix des ventes constatées sur des pièces comparables dans les grands maison de ventes comme Drouot, Artcurial, Christies ou Sothebys, que les acquéreurs n’ont aucune chance de réaliser de retour sur leur investissement. Par exemple, un lot comprenant un manuscrit d’Albert Einstein et une correspondance de sa main, acheté à New York pour un demi-million de dollars, sera valorisé par un des experts de la Troïka à plus de 10 millions d’euros et finalement vendu 20 millions d’euros aux clients d’Aristophil. Le 1er septembre 2015, le Tribunal de commerce de Paris met le holà en prononçant la liquidation judiciaire de la société.


Pour les 18 000 épargnants trompés, c’est la fin du rêve. La cessation de l’activité d’Arsitophil réduit à néant non seulement l’espoir de percevoir les bénéfices escomptés, mais aussi de simplement récupérer leur mise. L’Est Républicain a enquêté sur cette escroquerie – un grand nombre des acquéreurs des contrats Aristophil vivant dans sa région. Il a livré des témoignages édifiants. Dans un article paru en 2015, il raconte comment un chef d’entreprise à Metz a perdu les 17 000 € qu’il avait épargnés pour les études de sa fille en faisant confiance à Aristophil.

Il faudra de 10 à 20 ans pour que les épargnants récupèrent moins de 20% de leur investissement

Tout au plus, les ventes de la fabuleuse collection de manuscrits aux enchères qui commenceront le 20 décembre permettront aux épargnants d’obtenir une indemnisation partielle. Mais il leur faudra être patients et s’apprêter à subir une décote de 80% sinon plus. 


En effet, le commissaire-priseur Claude Aguttes ne devrait assurer les ventes que de 10% du total (environ 13 000 manuscrits). Or, on ignore encore comment et à quel rythme se fera la suite de la dispersion. Frédéric Castaing, président de la Compagnie nationale des experts (CNE) a une idée sur la question. Cité par le Quotidien de l’art, il croit que cela pourrait durer «de 10 à 20 ans». Par ailleurs, selon son estimation la plus optimiste, la collection pour laquelle les 18 000 clients d’Aristophil ont déboursé 850 millions d’euros pourrait ne trouver preneurs que pour un montant de 150 millions, à peine plus de 20% de le cet investissement collectif mal avisé.

La profession guette la vente du manuscrit des Cent Vingt Journées de Sodome


Une seule certitude : même s’il n’existe pas encore d’inventaire complet de la collection créée par Gérard Lhéritier, sa vente va faire ressortir de nombreuses pièces exceptionnelles et inestimables. Parmi elles se trouve le sombre mais fascinant manuscrit des Cent Vingt Journées de Sodome écrit par le marquis de Sade à la Bastille. Vendu à la famille de Noailles, descendante du sulfureux Marquis, il avait été dérobé puis a voyagé avant d’aboutir en Suisse chez Gérard Nordman un célèbre collectionneur de curiosa, autrement dit de littérature érotique. Mais il est finalement rentré en France, grâce au fondateur d’Arsitophil (et c'est là son moindre mérite) qui l’a acquis, dit-on, pour 7 millions d’euros. Ce catalogue de perversions sexuelles, rédigé dans le plus somptueux français du XVIIIe siècle, mériterait de rejoindre les collections de la Bibliothèque nationale… 

Jean-François Guélain


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