Une fraction de la jeunesse marocaine est descendue quotidiennement dans les rues des villes du pays depuis le 27 septembre, à l'initiative d'un collectif dénommé Gen Z 212, pour dénoncer les défaillances du système de santé et de l’enseignement public. Dans un texte diffusé le 30 septembre sur Discord, une plateforme de messagerie destinée aux gamers, et sur Telegram, les représentants de Gen Z 212 déclaraient : « Nous voulons un pays pour tous les Marocains, un pays pour les malades, les illettrés, les chômeurs et les pauvres, et non une tribune pour des politiciens au ventre plein. Nous avons besoin de responsables au service du peuple, et non de leurs propres intérêts. »
Dans la soirée du 30 septembre, les tensions sont montées d’un cran lorsqu’un jeune homme a été renversé par un fourgon des forces de l’ordre à Oujda, dans l’est du pays, ce qui lui a causé de graves blessures. La vidéo de l’incident, devenue virale sur les réseaux sociaux, a marqué le début de scènes de violence qui ont éclaté dans plusieurs rassemblements, notamment à Inezgane, en banlieue d’Agadir, où des heurts ont opposé des dizaines de jeunes aux agents des forces de l’ordre, avec des jets de projectiles et l’incendie d’une pharmacie. Dans une cité proche d’Aït Amira, des voitures ont été renversées, tandis que d’autres vidéos partagées en ligne montraient des affrontements, des véhicules calcinés et des commerces pillés dans plusieurs communes du Maroc.
Hôpitaux négligés, stades rénovés
À l’origine de la colère de la jeunesse marocaine, une manifestation a éclaté le 14 septembre devant le centre hospitalier régional d’Agadir, où huit femmes enceintes étaient mortes. Moins de dix jours plus tôt, le prince héritier Hassan inaugurait le stade Prince-Moulay-Abdellah de Rabat, refait à neuf en prévision de la Coupe d’Afrique et du Mondial de football de 2030.
Une partie de la jeunesse marocaine dénonce des « priorités mal placées » du gouvernement du Premier ministre Aziz Akhannouch. Dans les rues, des jeunes ont brandi le slogan : « Les stades sont là, mais où sont les hôpitaux ? »
Pour mettre à niveau ses infrastructures en vue de l’événement sportif, le gouvernement a engagé un montant colossal de cinq milliards de dollars. La rénovation de six stades avait mobilisé plus d’un milliard de dollars, tandis que la construction du Grand Stade de Casablanca a nécessité plus de 550 millions de dollars, selon des sources officielles marocaines. Ces dépenses ont mis en évidence les carences flagrantes des services publics du royaume, notamment dans les hôpitaux et les écoles.
La réponse sécuritaire face à la mobilisation
Les tensions grandissantes ont mené à l’interpellation de plus de 200 manifestants dans la capitale Rabat. Si la plupart ont été relâchés, selon l’Association marocaine des droits humains (AMDH), un groupe de 37 personnes, dont 3 placées en détention, devrait passer en jugement à partir du 7 octobre, selon les déclarations de leur avocate, Souad Brahma, citée par l’AFP, qui a indiqué ignorer encore les chefs d’accusation retenus contre eux.
Les leaders de la majorité gouvernementale ont été convoqués d’urgence pour une réunion présidée par le Premier ministre, le 30 septembre, dans le sillage de la vague de protestations. Les membres des partis de la coalition — le Rassemblement National des Indépendants (RNI), le Parti de l’Istiqlal (PI) et le Parti Authenticité et Modernité (PAM) — se sont réunis pour mettre en place une réponse politique à la crise sociale. Dans son communiqué, la majorité gouvernementale a déclaré « comprendre les revendications sociales » et se dit « prête à y répondre de manière positive et responsable ».
Pour l’heure, les autorités privilégient la dissuasion : interdictions de rassemblements, dispersions musclées et interpellations de manifestants. Mais selon les organisations de défense des droits humains, cette stratégie répressive, appliquée à des marches initialement pacifiques, risque d’accentuer la défiance envers les institutions. Une fracture d’autant plus profonde chez les jeunes générations, qui réclament des réformes structurelles plutôt que des réponses ponctuelles.