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Centrafrique : la CPI condamne deux chefs de milice à 12 et 15 ans de prison pour crimes de guerre

Après plus de quatre années de procès, la Cour pénale internationale a condamné deux anciens chefs de la milice chrétienne anti-Balaka en Centrafrique. Patrice-Édouard Ngaïssona, ex-dirigeant sportif, a été condamné à 12 ans de prison. Son coaccusé Alfred Yekatom a été condamné à 15 ans pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

La Cour pénale internationale (CPI) a rendu son verdict le 24 juillet dans l’affaire opposant le procureur à deux figures centrales du conflit centrafricain : Patrice-Édouard Ngaïssona, ex-président de la Fédération centrafricaine de football, et Alfred Yekatom, ancien député surnommé « Rambo ». Les deux hommes ont été reconnus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis entre décembre 2013 et décembre 2014, lors d’affrontements contre la rébellion Séléka.

Selon le communiqué officiel de la CPI, Patrice-Édouard Ngaïssona a été jugé coupable de 28 chefs d’inculpation, et Alfred Yekatom de 20, incluant des meurtres, actes de torture, transferts forcés, persécutions ethniques et autres violences contre les civils. La chambre de première instance V, dirigée par le juge Bertram Schmitt, a fixé les peines à 12 et 15 ans de prison respectivement. Tous deux ont la possibilité de faire appel.

Le procès a débuté en février 2021. Il a connu plusieurs retards liés notamment à la pandémie de Covid-19 et au renouvellement des mandats de juges. Au total, 114 témoins ont été appelés par l’accusation, 56 par la défense et trois par les représentants des victimes. Le verdict a été suivi en direct à Bangui par les familles des victimes et les organisations locales.

Le rôle des accusés dans le conflit

Les deux accusés faisaient partie des dirigeants de la milice chrétienne et animiste anti-Balaka, qui s’était opposée à la rébellion musulmane Séléka après la chute du président François Bozizé en 2013. Alfred Yekatom dirigeait environ 3 000 hommes, responsables d’attaques à Bangui et dans d’autres régions. Patrice-Édouard Ngaïssona, quant à lui, jouait un rôle plus stratégique, notamment dans la coordination des opérations.

Arrêté en France fin 2018, ce dernier a été extradé vers La Haye. À l’époque, il occupait un poste au comité exécutif de la Confédération africaine de football et siégeait dans une commission de la FIFA. Il a par la suite été suspendu et condamné à une amende par l’instance sportive.

Des accusations comme le recrutement d’enfants soldats et le viol ont été abandonnées par les juges. Toutefois, les deux hommes ont été tenus pour responsables des violences commises contre les populations civiles musulmanes dans plusieurs villes, y compris Bangui, Bossangoa et Berbérati. Le tribunal a estimé que les actes étaient planifiés dans le cadre d’une tentative de reprise du pouvoir par les partisans de Bozizé.

Réactions locales et contexte géopolitique

La réaction des victimes reste partagée. Euphrasie Nanette Yandoka, responsable d’une association locale, a déclaré pour Al Jazeera : « Pour nous, 12 ans et 15 ans, ce n’est pas beaucoup. On s’attendait à 30 ans pour les deux. » Elle a réclamé des réparations concrètes : construction de centres d’accueil, de formation ou de lieux de mémoire. Plusieurs familles espèrent également des compensations financières.

À l’inverse, les partisans des deux accusés dénoncent une justice partiale et considèrent que la CPI cible principalement les milices chrétiennes, alors que les chefs Séléka responsables d’exactions restent largement hors d’atteinte. En effet, si un procès contre Mahamat Said Abdel Kani est en cours, il reste peu médiatisé. Par ailleurs, d’autres rebelles anti-Balaka sont visés par des procédures internes à Bangui, mais sans garantie de neutralité.

La République centrafricaine, marquée par des décennies d’instabilité depuis son indépendance, reste encore sous tension. Si les violences ont diminué dans la capitale, les combats se poursuivent dans plusieurs régions reculées. Les forces armées centrafricaines bénéficient du soutien actif de soldats étrangers, dont les efforts ont permis de sécuriser certaines zones clés.