«Le climat est délétère. Nous perdons du temps avec le président [Emmanuel] Macron», réplique Abdelmadjid Tebboune dans une interview accordée le 2 févier au quotidien français l’Opinion, en pleine crise diplomatique entre Alger et Paris qui dure depuis juillet 2024. Entre l’Algérie et la France, «plus rien n'avance, si ce n'est les relations commerciales», estime le président algérien. «Le dialogue politique est quasiment interrompu.»
Et pour cause ! Selon le chef de l’État algérien, ce sont les «déclarations hostiles» lancées «tous les jours» par certains politiques français qui ont engendré ce «climat délétère» et contribué à la détérioration des relations algéro-françaises. Le président Tebboune a notamment cité des personnalités de l’extrême droite comme Eric Ciotti, ou encore Jordan Bardella et Marine Le Pen : « Et dire que ces personnes aspirent un jour à diriger la France», s’étonne-t-il.
«Il y a des intellectuels et des hommes politiques que nous respectons en France comme Jean-Pierre Chevènement, Jean-Pierre Raffarin, Ségolène Royal et Dominique de Villepin, qui a bonne presse dans tout le monde arabe, parce qu'il représente une certaine France qui avait son poids», a-t-il noté. «Personnellement, je distingue la majorité des Français de la minorité de ses forces rétrogrades et je n'insulterai jamais votre pays», a-t-il ajouté.
Interrogé sur sa disposition «à reprendre le dialogue à condition qu'il y ait des déclarations politiques fortes», le président algérien a répondu : «Tout à fait. Ce n'est pas à moi de les faire. Pour moi, la République française, c'est d'abord son président». Le président Tebboune a rappelé dans ce sens avoir établi «une feuille de route ambitieuse» après la visite en août 2022 du président Macron, suivie de celle d'Elisabeth Borne, alors Première ministre, qu'il a qualifiée de «femme compétente connaissant ses dossiers».
Éviter une «séparation qui deviendrait irréparable»
Affirmant vouloir éviter une «séparation qui deviendrait irréparable», Tebboune se dit être «totalement d'accord» avec le besoin de reprendre le dialogue entre les deux pays. La crise diplomatique entre Paris et Alger remonte à fin juillet 2024, lorsqu'Emmanuel Macron a reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Les dirigeants des deux pays multiplient depuis les joutes verbales et les accusations réciproques dans un contexte de plus en plus tendu.
Cette crise, caractérisée par des poussées de fièvres récurrentes, a été marquée récemment par l’affaire Boualem Sansal et l’expulsion ratée d’un influenceur algérien par la France, mais aussi par la volonté affichée par Paris de remettre en cause un accord sur l’immigration algérienne datant de 1968 et la réactivation par Alger du dossier contentieux des essais nucléaires de la France coloniale dans le désert algérien.
Interrogé sur ce dernier point, le président Tebboune a affirmé que les réparations relatives aux explosions nucléaires et à l'utilisation d'armes chimiques par la France dans le sud de l'Algérie était un sujet «indispensable» pour la reprise de la coopération bilatérale, appelant à régler définitivement ces contentieux. «Le dossier de la décontamination des sites d'essais nucléaires est obligatoire sur les plans humain, moral, politique et militaire», a-t-il affirmé.
Soutien de Paris à la marocanité du Sahara occidental : «une grave erreur»
À l’origine de la crise diplomatique entre les deux pays, le soutien apporté par la France au soi-disant «plan d'autonomie» marocain pour le Sahara occidental qui est «une grave erreur», a affirmé le président Tebboune. «Nous avons parlé avec le président Macron plus de 2h30 en marge du sommet du G7 à Bari, le 13 juin dernier. [...] Il m'a alors annoncé qu'il allait faire un geste pour reconnaître la marocanité du Sahara occidental. Je l'ai alors prévenu : Vous faites une grave erreur. Vous n'allez rien gagner et vous allez nous perdre», a révélé Tebboune au journal français l'Opinion.
Le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole, est considéré comme un «territoire non autonome» par l’ONU en l’absence de règlement définitif. Depuis près de 50 ans, un conflit armé y oppose le Maroc aux indépendantistes du Front Polisario, soutenus par l’Algérie voisine. Rabat prône un plan d’autonomie sous sa souveraineté exclusive, tandis que l’Algérie et le Polisario réclament un référendum d’autodétermination, sous l’égide de l’ONU, prévu lors de la signature en 1991 d’un cessez-le-feu, mais jamais concrétisé.
Alors qu’Alger avait rompu ses relations diplomatiques avec Rabat en août 2021, Paris a réenclenché un processus de réchauffement avec le royaume nord-africain, couronné fin octobre 2024 par la visite d’État d'Emmanuel Macron au Maroc, au risque de détériorer davantage les relations avec l’Algérie qui sont au plus bas depuis des années, notamment en raison de la colonisation française (1830-1962) qui pèse encore très lourd dans les relations entre les deux pays.