Le président sénégalais Macky Sall, élu en 2012 et réélu en 2019 a annoncé le report de la présidentielle prévue le 25 février le 4 février, dans une brève intervention à la télévision publique, quelques heures avant l'ouverture de la campagne dimanche à 00H00 (locale et GMT).
C'est la première fois depuis 1963 qu'une présidentielle au suffrage universel direct est reportée au Sénégal, pays présenté comme un îlot de stabilité en Afrique.
«J'ai signé le décret du 3 février 2024 abrogeant le décret» du 26 novembre 2023 fixant la présidentielle au 25 février 2024, a dit M. Sall. «Notre pays est confronté depuis quelques jours à un différend entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d'une supposée affaire de corruption de juges», a-t-il ajouté.
Le Sénégal ne peut «se permettre une nouvelle crise» après des troubles meurtriers en mars 2021 et juin 2023, a-t-il poursuivi, annonçant «un dialogue national» pour « une élection libre, transparente et inclusive» et réitérant son engagement à ne pas être candidat.
Inquiétudes de la CEDEAO
L'organisation régionale ouest-africaine CEDEAO a exprimé «son inquiétude face aux circonstances qui ont conduit au report de l'élection», dans un communiqué publié sur X. Elle «appelle les autorités compétentes à favoriser les procédures afin de fixer une nouvelle date» pour le scrutin.
Le ministre Secrétaire général du gouvernement Abdou Latif Coulibaly, frère d'un des deux juges soupçonnés de corruption, a annoncé sa démission du gouvernement pour recouvrer «sa pleine et entière liberté».
«Ce n'est pas un report mais une annulation de l'élection tout simplement», a réagi sur Facebook El Malick Ndiaye, ex-porte-parole du parti dissous de l'opposant emprisonné Ousmane Sonko. L'opposant sénégalais Khalifa Sall, un des principaux candidats à la présidentielle, a appelé tout le pays à «se lever» contre le report du scrutin.
Selon le code électoral, un décret fixant la date d'une nouvelle présidentielle doit être publié au plus tard 80 jours avant le scrutin, ce qui mènerait, à partir du 3 février, à fin avril. Le président Sall s’était engagé à remettre début avril le pouvoir au président élu.
Enquête sur deux juges constitutionnels
L'ajournement est annoncé sur fond de conflit entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, qui a validé en janvier 20 candidatures, un record.
Cette élection s'annonçait comme la plus indécise depuis l'indépendance en 1960. Le doute s'est imposé sur les chances du Premier ministre Amadou Bâ, désigné par M. Sall en septembre comme son dauphin, un choix ayant a divisé son camp. Le Conseil constitutionnel a exclu du scrutin des dizaines de prétendants.
Parmi eux, deux ténors de l'opposition: le candidat antisystème Ousmane Sonko, en prison depuis juillet 2023 notamment pour appel à l'insurrection et disqualifié par le Conseil pour diffamation dans un dossier distinct, et Karim Wade, ministre et fils de l'ex-président Abdoulaye Wade (2000-2012).
Après la publication de la liste définitive des candidats, la coalition de Karim Wade a initié la création d'une commission d'enquête parlementaire sur deux des sept juges du Conseil dont elle met en cause l'intégrité. L'Assemblée nationale a approuvé le 31 janvier la formation de cette commission sur la validation des candidats. Un grand nombre des membres du camp présidentiel ont voté pour cette commission.
Des adversaires du président sortant soupçonnent un plan pour repousser la présidentielle parce que le pouvoir craindrait de la perdre. Le Conseil constitutionnel est appelé à proclamer les résultats de la présidentielle et à statuer sur les contestations.
«Report de six mois maximum»
Le bureau de l'Assemblée nationale a adopté le 3 février une proposition, à l'initiative de la coalition de Karim Wade, pour un «report de six mois maximum» de la présidentielle du 25 février, a annoncé la télévision publique. Les députés doivent ensuite se réunir en commission pour l'examiner, avant une plénière à une date non précisée.
Par ailleurs, une des vingt candidats, Rose Wardini, a été placée le 2 février au soir en garde à vue par la police judiciaire pour «faux et usage de faux et escroquerie au jugement», dans une enquête sur sa nationalité franco-sénégalaise présumée, a indiqué à l'AFP une source policière. Tout candidat «doit être exclusivement de nationalité sénégalaise», dit la Constitution. Le cas de cette candidate a été évoqué samedi par le président Sall comme un élément de la décision de report.
Karim Wade, 55 ans, né en France d'un père sénégalais et d'une mère française, a été exclu du scrutin à cause de sa double nationalité sénégalaise et française, selon le Conseil. Il avait dénoncé «un nouveau complot judiciaire», après avoir été empêché de concourir en 2019 du fait de sa condamnation en 2015 à six ans de prison pour enrichissement illicite.