Par Sébastien Boussois Tous les articles de cet auteur
Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, chercheur sur le Moyen-Orient et les relations euro-arabes, le terrorisme et la radicalisation. Il est également enseignant en relations internationales.

Au-delà de la repentance américaine, la France doit comprendre qu’elle compte de moins en moins

Au-delà de la repentance américaine, la France doit comprendre qu’elle compte de moins en moins© Ludovic MARIN Source: AFP
Joe Biden et Emmanuel Macron se sont rencontrés à Rome le 30 octobre 2021, la veille de l'ouverture du sommet du G20.
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Pour Sébastien Boussois, la France aurait tort de se réjouir du repentir exprimé par Joe Biden ce 29 octobre, quelques semaines après la crise des sous-marins nucléaires. Car l'enjeu est bien ailleurs : l'impuissance de Paris dans le jeu mondial.

La mise en scène théâtrale qui a eu lieu hier à Rome pour la première rencontre, depuis la crise des sous-marins, entre le président américain Joe Biden et le président français Emmanuel Macron avait des airs de film plus hollywoodien qu’italien. Beaucoup d’effets spéciaux pour masquer un scénario très faible à l’opposé des films de Cinecittà. En effet, depuis que Paris a appris l’abandon de la commande de l'Australie, qui a préféré se concentrer sur le front de l’alliance tripartite dans le Pacifique avec ses alliés anglais et américain, la France se plaint dans le monde entier d’avoir été trahie, se victimise probablement un peu à outrance. Là pour le coup, il y a un peu de la comedia dell’arte dans cette affaire. On a parfois davantage eu le sentiment de se retrouver même dans une tragédie grecque, en écoutant les dirigeants français, où la trahison vécue par la France renvoyait l’Hexagone non seulement à l’humiliation de tout un peuple, mais à un ruminement de guimauve romantique, bien éloigné de la pure realpolitik qui guide les Etats dans un monde de plus en plus instable. Washington a abandonné l’émotionnel depuis longtemps, la France y croit encore et on l'a envoyée paître. 

Washington a abandonné l’émotionnel depuis longtemps, la France y croit encore et on l'a envoyée paître

Peu avant l’ouverture du G20, sommet international des 20 pays les plus industrialisés du monde, l’attention des médias tout entière se focalisait depuis des jours sur la manière dont les Etats-Unis se sortiraient du carcan émotionnel dans lequel la France tentait de l’enfermer depuis des semaines. Le fait que le président américain soit Joe Biden, et non plus Donald Trump, a posé l’Amérique une fois encore dans une position de fragilité, dont elle pouvait se passer, et dans un contexte de repentance qu’elle pouvait largement esquiver. Trump n’aurait probablement que peu réagi à ce qu’il aurait considéré comme un épiphénomène par rapport à l’importance d’Aukus [1]. Dans ce monde multipolaire de la loi du plus fort, la règle est édictée par : le plus fort. Peu importe les conséquences, Washington mène la danse sur le front pacifique, une zone de non-influence pour Paris malgré le fait qu’elle dispose du plus vaste espace maritime au monde et qu’elle ait quelques ilots stratégiques sur place. 

Le président Macron a sûrement joui, en bon chanoine honoraire de Saint-Jean du Latran, une fonction honorifique historique à Rome pour les chefs d’Etats français [2], des plates excuses que venait présenter le président américain, oubliant que l’essentiel est ailleurs. Après une visite auprès du pape François, Biden venait faire amende honorable – qui lui demandait ? qu’est ce qui l’y obligeait stratégiquement ? – et demander l’absolution. Au-delà du grotesque, et après avoir rappelé l’histoire des bonnes relations entre Paris et Washington depuis plus de deux siècles, ce que la France attendait en se frottant le ventre, Biden montre problématiquement le visage d’une Amérique humaine, dont ne veulent pas les Américains. Avec Trump, ils avaient trouvé le candidat idéal pour faire de nouveau, quels que soient les échecs patents de la politique internationale américaine depuis des décennies, de l’Amérique une hyperpuissance, pour reprendre l’expression d’Hubert Védrine, qu’il faut craindre. Car dans ce monde, l’on est respecté uniquement si l’on est craint. S’excuser de faire passer ses intérêts personnels avant le romantisme d’une relation bilatérale certes joyeuse et épanouie n’y concourt assurément pas. 

La maladie de la France qu’elle ne parvient pas à diagnostiquer depuis des années, est son impuissance à peser dans le jeu mondial et à être crainte

Le pire dans cette affaire, est que la maladie de la France qu’elle ne parvient pas à diagnostiquer depuis des années – au-delà de ce camouflet qui en est un nouveau symptôme – est son impuissance à peser dans le jeu mondial et justement à être crainte. On peut faire et défaire des contrats, l’humilier, lui voler des affaires, puis s’excuser. La voilà contente parce que le président américain est venu à Rome, contrit, et après ? Joe Biden avait déjà fait amende honorable sur le retrait d’Afghanistan. Soit. Mais personne n’attend cela des Etats-Unis, le fameux gendarme du monde. Tout le monde sait que l’Amérique commet erreur sur erreur depuis la guerre du Vietnam. Et après ? Alors Biden repartira mener la guerre, cette fois-ci contre celle qui veut lui rafler la première puissance mondiale, c’est-à-dire la Chine. Et la France, ne lui en déplaise et aussi regrettable cela soit-il, en cela ne lui sert à rien du tout. Car les enjeux sont ici colossaux, dans l’intérêt de cette alliance tripartite entre les trois puissances présentes dans le Pacifique, bien au-delà d’un bon rétablissement des relations entre la France et l’Amérique. Emmanuel Macron a fait le job et peut rentrer à Paris satisfait d’avoir obtenu ce qu’il voulait : des excuses. Mais quid derrière ? Rien. De toute évidence, il n’y aura à court et moyen terme aucune retombée politique, économique et financière, de cette mise en scène théâtrale dont la France a le secret, pour cacher le malaise. Et cela est probablement la pire des humiliations pour la France : accepter qu’elle pèse de moins en moins dans les  grands défis mondiaux. 

Sébastien Boussois

[1] Alliance politique et militaire entre l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis dans le Pacifique. 

[2] Et ce, malgré la laïcité. 

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