Alexandre del Valle : «L’Occident se trompe systématiquement d’ennemi»

Alexandre del Valle : «L’Occident se trompe systématiquement d’ennemi» Source: Reuters
Des destuctions dans la banlieue de Damas
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Le président français François Hollande s’est dit prêt à lancer des frappes sur la Syrie. RT France s’est entretenu avec l’essayiste, consultant en géopolitique, auteur du livre «Chaos syrien» Alexandre del Valle pour analyser la position française.

RT France : La France s’est prononcée pour la participation aux frappes aériennes en Syrie. Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius affirme à son tour que ce serait de l’autodéfense. Est-ce que cette explication est justifiée ?

Alexandre del Valle : Je ne suis pas souvent d’accord avec Monsieur Fabius mais dire que frapper en Syrie c’est de l’autodéfense est exact. Ce sont des gens qui viennent de la mouvance djihadiste, notamment l’Etat islamique, qui ont perpétré des attentats sur le sol français. L’Etat islamique a menacé directement la France. Dans la revue en français de l’EI Dar al Islam, il est écrit explicitement que toute sorte d’attaque est valable contre la France, qui est un des pires ennemis de l’islam. Donc effectivement on peut dire que «l’ennemi nous attaque». Toutes les conditions sont là pour dire que l’EI nous a déclaré la guerre, il est légitime d’opérer des représailles.

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RT France : Les autorités syriennes en place estiment que les frappes aériennes ont été inefficaces jusqu’à présent et qu’il faudrait engager une offensive au sol. Etes-vous d’accord ?

Alexandre del Valle : Il est clair qu’on ne peut pas déloger un ennemi qui se cache dans la population si on ne fait que des bombardements aériens. C’est même le piège tendu par les islamistes contre les Occidentaux depuis les années 2000. Cette stratégie a même été décrite dans l’ouvrage de l’idéologue de l’EI et d’Al-Qaïda  Abou Bakr Naji l’Administration de la barbarie, estimant qu’il faut pousser l’ennemi à effectuer des représailles, notamment des bombardements aériens, pour créer une situation de chaos, monter la population encore plus contre l’ennemi extérieur – donc l’attirer dans le piège en le poussant à faire la guerre. Si on fait la guerre d’une manière stupide, uniquement par des bombardements aériens on tombe encore plus dans ce piège parce que cela va provoquer la mort de civils, cela ne va pas déloger les djihadistes. Cela ne va servir à rien. Depuis 2001, les bombardements aériens ne sont pas efficaces. Regardez en Afghanistan, les drones ont fait beaucoup de morts innocentes et n’ont fait que remonter la population contre les Américains. On sait que dès que les Américains auront quitté l’Afghanistan en 2016 ce sera le retour des Taliban sur Kaboul. Cela a été le cas en Irak.

Les Occidentaux ne veulent pas d’intervention au sol parce qu’ils ne veulent pas se mettre à dos l’opinion publique

RT France : Comment faut-il donc procéder ?

Alexandre del Valle : Il faut les combattre au sol à l’aide des populations locales, et associer dans cette guerre totale contre le terrorisme toutes les composantes – les Iraniens, les Russes, les Turcs, les Occidentaux. Il ne faut pas se limiter uniquement aux bombardements aériens, il faut des troupes au sol pour aller chercher l’ennemi où il se cache, de manière ciblée. Il faut également dépêcher beaucoup de soldats de plusieurs pays différents. Nous sommes obligés de coopérer. Or, aujourd’hui aucune de ces conditions n’est réunie. Les Occidentaux ne veulent pas d’intervention au sol parce qu’ils ne veulent pas se mettre à dos l’opinion publique, ils ne sont pas unis avec les Russes, les Turcs jouent un jeu trouble et n’arrivent pas choisir leur camp et les Iraniens ont été exclus de ce processus. 

Le président russe a tout à fait raison quand il dit qu’il faut une guerre totale contre l’EI avec la prise en considération de plusieurs pays qui doivent s’entendre pour former un front commun.

RT France : Est-ce que l’Occident pourrait dépasser la rhétorique anti-Assad afin de lutter contre Daesh ?

Alexandre del Valle : Il faut le faire. Il faut désigner et hiérarchiser l’ennemi. L’ennemi principal n’est pas uniquement l’Etat islamique, c’est le djihadisme. Assad n’est pas l’ennemi parce que son régime légal n’agresse pas les Français chez eux, il n’envoie pas les terroristes même si nous l’avons désigné comme «ennemi». Aujourd’hui celui qui menace nos valeurs, notre mode de vie, notre société, qui tue nos citoyens – c’est l’Etat islamique, ainsi qu’Al-Qaïda. L’ennemi principal est le djihadisme avec leur projet de terrorisme international. Aujourd’hui l’Occident met au même niveau Bachar el-Assad, qui n’est pas notre ennemi parce qu’il ne nous a pas agressé, et l’Etat islamique.

Renverser tous les régimes proches des Chinois ou des Russes dans une logique de guerre froide qui à mon avis est stupide, contre-productive et suicidaire pour les Occidentaux

RT France : En Libye l’intervention a effectivement eu lieu avec les forces conjointes de l’Occident mais le chaos y règne toujours…

Alexandre del Valle : La Libye de Monsieur Kadhafi avait été terroriste durant la guerre froide mais depuis 2000 la Libye avait renoncé au terrorisme, elle avait réparé un certain nombre de choses ayant reconnu ses erreurs et même renoncé à son programme nucléaire. La Libye était devenue un pays fréquentable et nous aidait à contrôler le flux migratoire. Bizarrement, l’Occident a agressé la Libye alors qu’elle n’a jamais été aussi proche de l’Occident. Kadhafi ne menaçait pas nos valeurs, il coopérait avec nous, il était très utile. Nous avons attaqué un régime qui était devenu ami pour aider les rebelles qui appartiennent à la mouvance islamiste internationale et qui ont une idéologie ennemie de l’Occident. Du point de vue militaire nous avons mis en place en Libye des islamistes qui ont été entraînés par les Occidentaux. Donc nous avons renversé un régime qui ne nous menaçait pas pour mettre en place des rebelles qui nous menacent. Vous comprenez à quel point la stratégie occidentale est stupide. Le problème c’est que l’Occident se trompe d’ennemi systématiquement et aide des mouvements islamistes anti-occidentaux.

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RT France : Pourquoi cela se fait-il ?

Alexandre del Valle : Le véritable but des stratèges américains, de l’Occident et de l’OTAN c’est d’aider tous ceux qui peuvent constituer une barrière contre la Russie – la Libye, l’Irak, la Syrie, tous ces pays qui étaient considérés relativement proches de la Russie, comme l’Iran. La véritable obsession des Occidentaux c’était d’isoler les Russes, empêcher tous les amis des Russes à rester au pouvoir, renverser tous les régimes proches des Chinois ou des Russes dans une logique de guerre froide qui à mon avis est stupide, contre-productive et suicidaire pour les Occidentaux.

C’est stupide d’intervenir et encore plus stupide de partir en ne faisant aucun «suivi»

RT France : Est-ce que l’intervention en Syrie peut aboutir à un chaos libyen ?

Alexandre del Valle : Je pense qu’on va connaître l’équivalent d’un chaos libyen ou irakien si nous intervenons et que nous continuons à confondre les ennemis. Si on fait la guerre il faut avoir un ennemi clair – un seul à la fois, des objectifs de guerre à court et à long terme. On veut détruire un régime pour mettre quoi à sa place ? On veut détruire l’Etat islamique pour laisser d’autres mouvances islamistes progresser ? Aujourd’hui il n’y a pas de stratégie à long terme, comme c’était le cas en Irak où il n’y a pas eu de «service après-vente». On a fait la guerre, puis sommes parti en laissant le chaos. C’est stupide d’intervenir et encore plus stupide de partir en ne faisant aucun «suivi».

Malheureusement, depuis les années 2000, les opérations occidentales militaires ne sont pas stratégiquement étudiées, l’ennemi n’est jamais clair, les buts de guerre ne sont pas précis et surtout il n’y a jamais de «service après-vente» à long terme. C’est catastrophique ! Il est temps de revenir aux bases de la pensée stratégique où on désigne l’ennemi, où on a un but de guerre et où on va jusqu’au bout de l’intervention et on prépare aussi l’avant et l’après-guerre. Une guerre ce n’est rien s’il n’y a pas de préparation et pas de suivi.

  

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