Aux prises avec une situation extrêmement compliquée en Syrie, qui affecte toute le Moyen-Orient jusqu’en Europe, le dirigeant du pays a livré son opinion aux médias russes sur la lutte contre le terrorisme et les origines de la crise des réfugiés.
Question :Monsieur le président, tout d’abord nous tenons à vous remercier pour cette interview, de la part de RT, Rossiïskaya Gazeta, Pervy Kanal, Rossiya 24, RIA Novosti et NTV. Merci beaucoup de nous l’avoir accordée dans ce moment critique de la crise syrienne, au moment où il y a beaucoup de questions à aborder, portant sur la possible issue du processus politique de pacification, sur l’état actuel de la lutte contre Daesh et sur le statut du partenariat russo-syrien, tout comme sur l’exode massif des Syriens vers l’Europe, qui fait la une des médias européens.
Nous entrons en ce moment dans la cinquième année de la crise syrienne. Vous avez démenti toutes les prédictions des leaders occidentaux considérant votre départ comme imminent, et exercez toujours la fonction de président de la République arabe syrienne. Récemment il y a eu beaucoup de spéculations liées aux rapports indiquant que les représentants de votre gouvernement avaient rencontré des représentants de votre adversaire, l’Arabie Saoudite, d’où la supposition que le processus politique en Syrie avait franchi une nouvelle étape. Cependant, les déclarations de l’Arabie Saoudite, qui continue à insister sur votre départ, montreraient qu’au final il n’y a eu que très peu de changements, malgré l’existence d’une menace très importante de la part de groupes comme Daesh, bien au-delà des frontières syriennes.
Quelle est alors votre position concernant ce processus politique ? Que ressentez-vous à l’idée de partager le pouvoir et de travailler en commun avec ces groupes d’opposition, qui continuent de déclarer qu’il ne peut y avoir de solution politique en Syrie sans votre départ immédiat ? Vous ont-ils montré qu’ils étaient prêt à collaborer avec votre gouvernement et vous-même ? En plus de cela, dès le début de la crise syrienne, plusieurs de ces groupes exigeaient des réformes et un changement politique. Mais ce changement est-il réalisable aujourd’hui, dans les conditions actuelles, où la guerre continue et la terreur se propage en Syrie ?
Bachar el-Assad : Permettez-moi d’abord de diviser cette question. C’est une question multiple sous forme d’une seule question. Tout d’abord, à propos du processus politique. Dès que la crise a commencé, nous avons adopté une approche de dialogue. Il y a eu beaucoup de tours de ce dialogue entre les Syriens en Syrie, à Moscou, à Genève. En fait, le seul résultat vraiment tangible, était le Moscou 2 – pas le Genève, pas le Moscou 1 – et en réalité il s’agit d’un résultat partiel, incomplet, ce qui est naturel vu l’ampleur de la crise. C’est impossible d’arriver à une solution en quelques heures ou en quelques jours. C’est un pas en avant, et nous attendons le Moscou 3. Je pense que nous devons poursuivre le dialogue entre les différentes entités syriennes, entre les entités et les courants politiques, tout en combattant le terrorisme afin de trouver un accord sur l’avenir de la Syrie. C’est ce qu’on doit continuer à faire.
Si j’avance vers la dernière partie de la question – car elle est liée à celle à laquelle je suis en train de répondre – s’il est possible de réussir à atteindre quelque chose vu la prévalence du terrorisme en Syrie et en Irak et dans la région en général. Comme je l’ai dit, nous devons poursuivre le dialogue afin d’arriver à un accord, mais si on veut mettre en place quelque chose de réaliste, il est impossible de faire quoi que ce soit quand des gens sont tués, quand le sang coule sans cesse et tant que les gens ne se sentent pas en sécurité. Admettons que nous allons nous mettre ensemble – les partis ou les entités politiques – et que nous atteindrons des accords dans les domaines politique, économique, de l’éducation, de la santé, dans tous les domaines.
Comment pourrons-nous les appliquer si la priorité de chaque citoyen syrien reste sa propre sécurité ? Nous pouvons donc parvenir à un accord, mais il n’est pas possible de l’appliquer tant que le terrorisme n’est pas vaincu en Syrie. Il faut vaincre le terrorisme et pas seulement Daesh. Je parle du terrorisme, car il y a beaucoup d’organisations, surtout l’Etat Islamique et al-Nosra, qui ont été déclarées terroristes par le Conseil de sécurité. Voilà ma réponse concernant le processus politique.
Quant au partage du pouvoir, nous le partageons déjà avec une partie de l’opposition qui a été d’accord pour le partager avec nous. Il y a quelques années, ils ont rejoint le gouvernement. Bien que le partage du pouvoir soit une question qui relève de la constitution, qui est liée aux élections, surtout aux élections parlementaires, et bien évidemment à la façon dont ces entités représentent le peuple syrien – mais vu la crise, nous avons décidé de faire un pas vers eux, peu importe son efficacité.
A propos de la crise des réfugiés, je voudrais dire quelques mots concernant les accusations de la propagande occidentale, qui essaye de montrer que ces réfugiés échappent au gouvernement syrien que les occidentaux traitent de «régime» bien évidemment. Dans les faits, l’Occident pleure d’un œil sur le sort de ces réfugiés et les vise avec une mitrailleuse d’un autre œil, car ces gens ont quitté la Syrie à cause du terrorisme, surtout à cause des terroristes et des meurtres, mais aussi à cause des conséquences du terrorisme.
Quand vous faites face au terrorisme, vous voyez vos infrastructures être détruites, et vous ne parvenez plus à subvenir à vos besoins. Du coup beaucoup de gens partent, à cause du terrorisme, et parce qu’ils veulent gagner leur vie quelque part dans ce monde. Alors, l’Occident s’apitoie sur eux, ce même Occident qui soutient les terroristes depuis le début de la crise, quand il a dit que c’était un soulèvement pacifique, quand il a dit après que c’était une opposition modérée. Et maintenant, quand ils disent que s’il y a des organisations terroristes, telles que Daesh ou al-Nosra, c’est à cause de l’Etat syrien, du régime syrien ou du président syrien. Alors, tant qu’ils resteront dans cette optique propagandiste, ils auront de nouveaux réfugiés. Le souci n’est donc pas dans le fait que l’Europe ne les a pas acceptés ou gardés, le souci c’est qu’elle ne veut pas s’occuper des causes du problème.
Si leur destin vous préoccupe, arrêtez de soutenir les terroristes. C’est notre point de vue concernant cette crise. C’est au cœur de toute cette question des réfugiés.
Question : Vous avez déjà évoqué le sujet de l’opposition syrienne dans votre première réponse. Cependant, j’aimerais y revenir, puisque c’est très important pour la Russie. Qu’est-ce que doit faire l’opposition interne afin de pouvoir collaborer et coordonner les autorités syriennes, pour les appuyer dans leurs batailles ? C’est quelque chose qu’ils évoquent et qu’ils ont l’intention de faire. Aussi, quelle est votre opinion concernant les perspectives de Moscou-3 et de Genève-3 ? Seront-ils utiles à la Syrie dans le cas présent ?
Bachar el-Assad : Comme vous le savez, nous sommes en guerre contre le terrorisme, et le terrorisme est soutenu par des forces étrangères. Ce qui signifie que nous sommes en état de guerre totale. Je crois que toutes les sociétés, tous les patriotes et tous les partis qui appartiennent véritablement au peuple doivent s’unir dans la guerre contre l’ennemi, qu’il s’agisse d’un ennemi formé par des groupes terroristes domestiques ou étrangers. Si on demande aujourd’hui à n’importe quel syrien ce qu’il souhaite le plus au monde, la première chose qu’il évoquera sera la sécurité pour lui et sa famille. Ainsi, nous, en tant que forces politiques, que ces forces soit intérieures ou extérieures au gouvernement, devons nous unir autour de ce que souhaite le peuple syrien. Ce qui signifie que nous devons avant tout nous unir contre le terrorisme. C’est logique et évident. C’est pourquoi je dis que nous devons nous unir en tant que forces politiques ou gouvernementales ou en tant que groupes armés qui ont combattu contre le gouvernement, afin de pouvoir combattre le terrorisme. Et c’est exactement ce qui s’est passé : il y a actuellement des forces qui combattent le terrorisme avec l’Etat syrien, des forces qui se sont auparavant battues contre l’Etat syrien. Nous avons fait des progrès à cet égard, mais j’aimerais profiter de cette opportunité pour appeler toutes les forces à s’unir contre le terrorisme, parce que c’est le moyen d’atteindre les objectifs que nous visons, en tant que syriens, à travers le dialogue et l’action politique.
Question : Et en ce qui concerne Moscou-3 et Genève-3 : les perspectives sont-elles encourageantes ?
Bachar el-Assad : L’importance de Moscou-3 réside dans le fait qu’il prépare les bases pour Genève-3, parce que le parrainage international de Genève n’était pas neutre, alors que le parrainage russe est neutre, il n’est pas biaisé et est basé sur les lois internationales et sur les résolutions du Conseil de Sécurité. Deuxièmement, il existe des différences considérables autour de l’article qui traite du gouvernement de transition dans la déclaration de Genève. Moscou-3 doit permettre de résoudre ces problèmes entres les différents partis syriens. Et lorsque nous arriverons à Genève-3, on aura la certitude d’un consensus syrien qui lui permettra de devenir une réussite. Nous croyons qu’il sera difficile pour Genève-3 de réussir à moins que Moscou-3 ne soit déjà un succès. C’est pourquoi nous souhaitons avoir ce tour de négociations à Moscou une fois que tout est prêt du côté des officiels russes.
Question : Je voudrais continuer avec une question sur la coopération internationale afin de résoudre la crise syrienne. A cet égard, après le règlement de la question nucléaire iranienne, il est évident que l’Iran jouera un rôle plus actif dans les affaires régionales. Dans ce contexte, comment évaluez-vous les initiatives iraniennes récentes quant à l’atteinte d’un accord sur la situation en Syrie ? Et, en général, quelle importance donnez-vous au support de Téhéran, y a-t-il un support militaire ?
Bachar el-Assad : Actuellement,il n’y a aucune initiative iranienne. Il y a des idées ou des principes pour une initiative iranienne basée principalement sur la souveraineté de la Syrie, la décision des Syriens et sur la lutte contre le terrorisme. Les rapports entre la Syrie et l’Iran sont anciens. Ils ont plus de 35 ans. Il s’agit d’une alliance basée sur un haut degré de confiance. C’ est pourquoi nous croyons que le rôle de l’Iran est important. L’Iran supporte la Syrie et le peuple syrien. Il est solidaire sur le plan politique, économique et militaire avec l’Etat syrien. Quand nous disons militaire, cela ne signifie pas, comme certains le prétendent dans les médias occidentaux, que l’Iran a envoyé une armée ou des forces armées en Syrie. Ce n’est pas vrai. Il nous envoient de l’équipement militaire, et bien sûr, il y a des échanges entre les experts militaires de Syrie et d’Iran. Cela a toujours été le cas, et c’est normal que cette coopération entre deux pays en situation de guerre se renforce. Oui, le soutien constant de l’Iran était essentiel dans cette guerre difficile et féroce.
Question : En ce qui concerne les facteurs et acteurs régionaux, vous avez récemment évoqué une coordination avec le Caire dans les domaines de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme, et qu’à cet égard, vous vous trouvez du même côté de la ligne de front contre le terrorisme. Quelles sont vos relations actuelles avec Le Caire sachant qu’il accueille certains groupes d’opposition ? Avez-vous des relations directes, ou peut-être via la médiation russe, surtout compte tenu de la nature stratégique des relations entre la Russie et l’Egypte ? Le président el-Sisi est désormais le bienvenu en Russie.
Bachar el-Assad : Les relations entre la Syrie et l’Egypte n’ont jamais cessé, même dans le passé, et même à l’époque du président égyptien Mohammed Morsi qui était membre de l’organisation terroriste des Frères musulmans. Malgré cela, les institutions égyptiennes ont insisté à ce qu’au moins une partie de nos relations soit préservée. Premièrement, parce que le peuple égyptien est parfaitement conscient de ce qui se passe en Syrie, et deuxièmement, parce que la bataille que nous menons actuellement – c’est une bataille contre un ennemi commun. Bien sûr, cela est devenu évident pour tous à présent. Le terrorisme s’est propagé en Lybie, en Egypte, au Yémen, en Syrie et en Irak, ainsi que dans d’autres pays arabes et dans certains pays musulmans aussi, tels que l’Afghanistan, le Pakistan, etc.
C’est pourquoi je peux dire que nous partageons une vision commune avec les égyptiens, mais nos relations n’existent à présent qu’au niveau de la sécurité. Il n’y a par exemple aucun contact entre le ministère des Affaires étrangères égyptien et syrien pour le moment. Le partenariat existe uniquement au niveau des services de sécurité. Nous sommes conscients de la pression qui peut être exercée sur l’Egypte et sur la Syrie, afin d’empêcher à ce que nous puissions établir des relations solides. Bien sûr, ces contacts ne se font pas via de Moscou. Comme je l’ai dit, les relations ne se sont jamais interrompues, mais nous n’avons pas de problème avec l’amélioration des relations entre la Russie et l’Egypte. Damas et Moscou sont liés par des relations historiques et solides, ainsi, c’est naturel pour la Russie de se sentir à l’aise dans le cas d’un développement positif de toute relation entre la Syrie et l’Egypte.
Question : Monsieur le Président, permettez-moi de revenir à la question sur la lutte contre le terrorisme. Comment trouvez-vous l’idée de créer une région sans terroristes au nord du pays, à la frontière avec la Turquie ? Dans ce contexte, quelles sont vos observations sur la coopération indirecte entre l’Occident et les organisations terroristes comme le Front al-Nosra et d’autre groupes extrémistes ? Et avec qui êtes-vous prêt à coopérer et lutter contre les terroristes de Daesh?
Bachar el-Assad : Dire que les frontières avec la Turquie doivent être libérées du terrorisme signifie que le terrorisme est autorisé dans d’autres régions. Ce n’est pas acceptable. Le terrorisme doit être éliminé partout, et pendant trois décennies nous avons appelé à la formation d’une coalition internationale afin de lutter contre le terrorisme. Mais en ce qui concerne la coopération occidentale avec le Front al-Nosra, cette réalité existe, nous savons que la Turquie supporte al-Nosra et Daesh en leur fournissant des armes, de l’argent et des volontaires. Et nous savons tous que la Turquie entretient des relations étroites avec l’Occident. Erdogan et Davutoglu ne peuvent pas faire un pas sans en référer en premier avec les Etats-Unis et d’autres pays occidentaux. Al-Nosra et Daesh opèrent avec une telle force dans la région, sous la couverture de l’Occident, parce que les pays occidentaux ont toujours considéré le terrorisme comme une carte, qu’on peut mettre dans sa poche et utiliser de temps en temps. Actuellement, ils veulent utiliser al-Nosra contre Daesh, peut-être parce que, d’une façon ou d’une autre, Daesh a échappé à tout contrôle. Mais cela ne signifie pas qu’ils veulent éliminer Daesh. Si vraiment ils voulaient le faire, ils en auraient été capables. Pour nous, Daesh, al-Norsa et toutes ces organisations de même nature, qui portent des armes et tuent des civils, sont des organisations extrémistes.
Mais ce qui est important c’est avec qui on parle. Dès le début, nous avons voulu engager le dialogue avec tous si ce dialogue aboutit à affaiblir le terrorisme et donc à la recherche de la stabilité. Naturellement, cela inclut les pouvoirs politiques mais il y a aussi des groupes armés, avec lesquels nous avons mené le dialogue et parvenu à un accord dans des zones de conflit, devenues calmes à un moment donné. Dans d’autres régions, ces groupes armés se sont joints à l’armée syrienne et luttent à ses côtés, et certains membres sont tombés en martyrs. Nous parlons donc à tous, sauf aux organisations que j’ai mentionnées, telles Daesh, al-Nosra et consorts, pour la simple raison que ces organisations appuient leur doctrine sur le terrorisme. Ces organisations sont idéologiques et ne sont pas simplement opposées à l’Etat, comme c’est le cas avec plusieurs groupes armés. Leur doctrine est basée sur le terrorisme, et par conséquent, le dialogue avec ces organisations ne peut déboucher sur aucun résultat probant. Nous devons lutter et les faire disparaître totalement, et parler avec eux est absolument futile.
Question : En parlant des partenaires régionaux, avec qui êtes-vous prêt à collaborer au combat contre le terrorisme ?
Bachar el-Assad : Certainement avec des pays amis, en particulier avec la Russie et l’Iran. Nous collaborons aussi avec l’Irak du fait qu’il affronte le même type de terrorisme. Quant aux autres pays, nous ne nous opposons à aucun d’entre eux, à condition qu’ils montrent la volonté de lutter contre le terrorisme, et non pas ce qu’ils font dans ce qu’on appelle «la coalition internationale» dirigé par les Etats-Unis. En fait, depuis que cette coalition a commencé à fonctionner, Daesh est en pleine expansion. En d’autres termes, la coalition a échoué et elle n’a pas de véritable impact sur le terrain. En même temps, des pays comme la Turquie, le Qatar, l’Arabie Saoudite, et les pays occidentaux, comme la France, les Etats-Unis, et d’autres, qui couvrent le terrorisme, ne peuvent pas y résister. On ne peut pas être pour, et en même temps contre le terrorisme. Mais si ces pays décident de modifier leurs politiques et réalisent que le terrorisme est comme le scorpion, qui vous pique si vous le mettez dans la poche. Si cela arrive, nous n’objectons pas de collaborer avec tous ces pays, à condition que ce soit un engagement franc, et pas une farce de coalition contre le terrorisme.
Question : Dans quel état se trouve actuellement l’armée syrienne ? Les forces armées syriennes ont combattu depuis plus de 4 ans. Sont-elles épuisées par la guerre, ou sont-elles devenues plus fortes comme résultat de leur engagement dans des opérations militaires ? Existe-t-il des forces en réserve pour venir les soutenir ? Et j’ai une autre question importante : vous avez dit qu’un grand nombre de vos ex-adversaires ont désormais décidé de combattre dans les rangs des forces du gouvernement. Quel est leur nombre ? Et quel est l’étendue de l’aide qu’ils offrent à la lutte contre les groupes extrémistes ?
Bachar el-Assad : Bien sûr, la guerre c’est mal. Toute guerre est destructive, dans tous les cas elle affaiblit la société et l’armée, quel que soit la puissance et la richesse du pays. Mais, ce n’est pas ainsi qu’on doit évaluer les choses. On suppose que la guerre doit pouvoir unir la société contre l’ennemi. L’armée devient le symbole le plus important pour toute société qui subit une agression contre son pays. La société commence à soutenir son armée, et lui fournit tout le support nécessaire, y compris en terme de ressources humaines, de volontaires, de conscrits, afin que l’armée puisse défendre sa patrie.
En même temps, la guerre permet de développer l’expertise de n’importe quelle force armée, du point de vue pratique et militaire. Ainsi, il y a toujours des aspects positifs et négatifs. On ne peut pas juger si l’armée devient plus faible ou plus forte. Mais, en retour, la société la soutient en lui fournissant des volontaires. Donc, la réponse à votre question : «Y a-t-il des renforts ?» Oui, certainement, puisque sans ces renforts, l’armée ne serait pas capable de tenir pendant quatre ans et demi d’une guerre si dure, surtout sachant que l’ennemi que nous combattons aujourd’hui jouit d’un approvisionnement illimité en matière de ressources humaines. Nous voyons aujourd’hui des combattants terroristes venant de 80, 90 pays.
Il s’agit de tout un incubateur qui envoie des milliers de personnes provenant de différents pays pour combattre en Syrie du côté des terroristes. En ce qui nous concerne, notre réservoir, c’est la Syrie en premier lieu. Donc, nous avons des forces en réserve, et c’est ce qui nous permet de continuer. Il y a aussi la détermination. Nous avons des renforts non seulement en terme de ressources humaines, mais également en termes de volonté. Nous sommes plus déterminés que jamais à combattre et à défendre notre pays contre les terroristes. C’est ce qui a amené certains combattants, qui au départ ont combattu contre l’Etat pour des raisons diverses, à se rendre compte qu’ils avaient tort, et de décider de rejoindre les forces gouvernementales. A présent, ils combattent aux cotés de l’armée, et certains ont rejoint à l’armée en tant que soldats réguliers. D’autres ont conservé leurs armes, mais ils combattent dans des groupes, aux côtés des forces armées dans différentes parties de la Syrie.
Question :Monsieur le président, depuis 20 ans déjà que la Russie se bat contre le terrorisme, nous en avons vu ses différentes manifestations. Maintenant il semble que c’est vous qui êtes à l’avant-garde de cette lutte. Globalement, le monde fait face à un terrorisme d’un nouveau type. Dans toutes les régions qu’il occupe, Daesh met en place ses propres juridictions et administrations, et des rapports indiquent qu’il a déjà lancé l’émission de sa propre monnaie. Vu sous cet angle, il s’agit de la construction d’un Etat au plein sens du terme. Ce fait en lui-même pourrait attirer de nouveaux adhérents de différents pays. Pouvez-vous nous expliquer contre qui vous vous battez ? S’agit-il d’un grand groupe terroriste ou d’un nouvel Etat qui a pour l’ambition de retracer les frontières de la région et de la planète entière de façon radicale ?
Bachar el-Assad : Evidemment, les groupes terroristes de Daesh s’efforcent de ressembler le plus possible à un Etat afin d’attirer, comme vous l’avez dit, plus de volontaires qui vivent avec ce rêve d’autrefois – le rêve d’un Etat islamique qui agit au nom de la religion. Cet idéal n’est pas réel. C’est trompeur. Aucun Etat ne peut soudainement modifier une société donnée. Cet Etat doit être le produit de cette société. Il doit être l’évolution naturelle de cette société, l’exprimer. Au final, un Etat doit être la projection de sa société. Il est impossible d’adapter une société à un modèle étatique qui lui est étranger. C’est là que la question surgit : Daesh, ou l’Etat Islamique comme ils le nomment, ressemble-t-il à la société syrienne ? Certainement pas.
Bien sûr, nous avons des groupes terroristes, mais ils ne reflètent pas notre société. En Russie il y a également des groupes terroristes aujourd’hui, mais ils ne caractérisent pas à la société russe avec son ouverture et sa diversité.
C’est pourquoi une monnaie, des tampons dans les passeports ou encore d’autres signes apparents d’un Etat réel, tout ceci ne signifie pas que cet Etat existe, qu’il existe en tant que véritable Etat, premièrement parce qu’ils sont différents du peuple et deuxièmement parce que les gens dans les régions occupées s’échappent vers un Etat réel – vers l’Etat Syrien qui est l’Etat de la nation. Parfois ils se battent avec ces gens-là aussi. Il n’y a qu’une petite minorité qui croit à tous ces mensonges. Sans aucun doute, ils ne sont pas un Etat, ils sont un groupe terroriste. Mais si nous voulons aborder la question de leur identité, parlons-en honnêtement. Ils représentent la troisième étape de la politique occidentale du mal, qui vise à remplir des objectifs politiques. La première étape a été la création des Frères Musulmansau début du siècle précédent. La deuxième étape a été Al-Qaïda en Afghanistan, dont le rôle était de combattre l’Union soviétique. Et la troisième étape est Daesh, al-Nosra et tous ces groupes. Daesh, c’est qui ? Et ces groupes ? Ils ne sont que des produits extrémistes de l’Occident.
Question :Monsieur le Président, depuis le début de la crise syrienne, la question des Kurdes a été de plus en plus évoquée. Auparavant, Damas était sévèrement critiqué par son attitude envers la minorité kurde. Mais dorénavant, des groupes kurdes sont vos alliés dans la lutte contre l’Etat islamique. Avez-vous adopté une position définitive sur ce que les Kurdes représentent pour vous, et qui êtes-vous pour eux ?
Bachar el-Assad : Premièrement, vous ne pouvez pas dire qu’il y a une certaine politique d’Etat envers les Kurdes. L’Etat ne peut pas faire de discrimination parmi sa population, autrement, cela crée des divisions dans le pays. Si nous avions mené une politique discriminatoire dans les différentes composantes de la société, une majorité d’entre elles ne soutiendrait pas l’Etat aujourd’hui, et le pays se serait désagrégé depuis longtemps. Pour nous, les Kurdes font partie du peuple syrien, ils ne sont pas étrangers, ils habitent dans cette région de même que les Arabes, les Circassiens, les Arméniens et plusieurs autres groupes ethniques et religieux existant en Syrie depuis des siècles. On ne sait toujours pas quand exactement certaines de ces nations sont apparues dans la région. Sans ces composantes, l’existence d’une société homogène en Syrie ne serait pas possible. Alors, est-ce que les Kurdes sont nos alliés ? Non, c’est un peuple patriote. Mais d’un autre côté, on ne peut pas mettre tous les Kurdes dans la même catégorie. Comme dans toutes les composantes syriennes, il y a toujours différents courants. Et ils appartiennent à des partis différents. Il y ceux qui sont à gauche et ceux qui sont plus à droite. Ainsi, il n’est pas objectif de parler des Kurdes comme d’un ensemble.
Certains partis kurdes expriment leurs exigences, mais ils ne représentent pas tout le peuple. Il y a ceux qui se sont complétement intégrés dans la société, et j’aimerais souligner qu’à cette étape-là, ils ne sont pas les alliés comme certain voudraient bien le montrer, puisqu’il y a plusieurs soldats kurdes qui sont tombés, ce qui veut dire qu’ils font pleinement partie de la société. D’un autre côté, nous avons des partis kurdes qui ont exigé des choses, dont certaines que nous avons satisfaites dès le début de la crise. Mais il y a d’autres réclamations qui n’ont rien à voir avec l’Etat et que l’Etat n’a pas pu réaliser. Certaines demandes relèvent de la compétence du peuple et de la constitution. Pour les contenter, il faut tout d’abord que les gens se mettent d’accord avant que nous, en tant qu’Etat puissions les satisfaire.
En tout cas, toute question doit entrer dans le cadre national. C’est pourquoi je dis que nous nous sommes unis avec les Kurdes ainsi qu’avec d’autres composantes de la population, pour combattre le terrorisme. Après la défaite de Daesh, du Front Al-Nosra, et des autres groupes terroristes, nous pourrons discuter des demandes kurdes au niveau national. Il n’y a pas de questions interdites, tant qu’elles entrent dans le cadre de l’unité syrienne, de son peuple et correspondent à son intention de lutter contre le terrorisme et pour la liberté ethnique, nationale et confessionnelle de notre pays.
Question : Monsieur le Président, vous avez répondu à cette question de manière partielle, mais j’aimerai avoir une réponse plus précise, car certaines forces kurdes en Syrie exigent l’amendement de la constitution. Par exemple, en instaurant une administration locale et puis, en poursuivant avec une autonomie des régions du Nord. Ces demandes sont devenues plus fréquentes à présent, puisque les Kurdes combattent Daesh avec un certain succès. Etes-vous d’accord avec leurs demandes ? Les Kurdes, peuvent-ils s’attendre à une sorte de reconnaissance ? Peut-il y avoir des discussions concernant ce sujet?
Bachar el-Assad : Lorsqu’on défend notre pays, on ne demande pas aux gens de nous nous en remercier. C’est de notre devoir naturel de défendre notre pays. S’ils méritent nos remerciements, alors tous les citoyens syriens défendant leur pays en méritent autant. Mais, je crois que défendre son pays est un devoir, et lorsque vous accomplissez votre devoir, il n’y a pas besoin d’être remercié. Mais, ce dont vous avez parlé est relatif à la constitution syrienne.
Prenons l’exemple de la Russie, si vous voulez changer l’organisation actuelle dans votre pays, par exemple, si vous voulez redessiner les frontières de l’une des entités de la Fédération de Russie, ou donner à une entité une autorité différente de celle des autres entités, et bien cela n’a rien à voir avec le gouvernement ni avec le président. Cela a à voir avec la constitution. La constitution appartient au peuple, ainsi, un changement dans la constitution nécessite un dialogue. En ce qui nous concerne, nous n’avons pas de problème avec ces demandes. En tant qu’Etat, nous n’avons aucune objection vis-à-vis de ces problèmes à partir du moment où cela n’empiète pas sur l’unité syrienne, sur la diversité et sur la liberté de ses citoyens.
Mais, s’il y a des groupes en Syrie qui ont des demandes particulières, ces demandes doivent être faites dans le cadre national et par le dialogue avec les forces politiques syriennes. Lorsque les citoyens syriens seront d’accord pour prendre des mesures dans cette direction, qui traiteront du fédéralisme, de l’autonomie, de la décentralisation ou même au changement du système politique tout entier, on aura besoin de consulter le peuple Syrien, ce qui pourra résulter en un amendement de la constitution. C’est pourquoi, ces groupes ont besoin de convaincre le peuple syrien de leurs propositions. Et dans ce cas, ils ne dialogueront plus avec l’Etat, mais avec le peuple. Lorsque le peuple syrien décidera d’emprunter une certaine direction, et d’approuver certaines démarches, nous l’approuverons tout naturellement.
Question : Cela fait un an que la coalition conduite par les Etats-Unis effectue des frappes aériennes sur le territoire syrien, sur les mêmes territoires sur lesquels les forces aériennes syriennes frappent Daesh et cependant, aucun incident entre la coalition menée par les Etats-Unis et les forces aériennes syriennes n’a été recensé, aucun affrontement n’a eu lieu entre les uns et les autres. Y a-t-il une coordination directe ou indirecte entre le gouvernement et la coalition américaine dans la bataille contre Daesh ?
Bachar el-Assad : Vous serez surpris si je vous réponds qu’il n’y en a pas. Ma réponse peut paraitre surréaliste si je vous réponds qu’il n’y pas de coordination entre nous lorsque nous attaquons disons, le même ennemi, lorsque nous attaquons la même cible au même endroit sans aucune coordination et au même moment, sans aucun conflit. Je suis d’accord avec vous, cela paraît étrange, mais c’est la réalité. Il n’y a aucune coordination ni contact entre le gouvernement syrien et le gouvernement des Etats-Unis, ni entre l’armée syrienne et l’armée américaine. Parce qu’ils ne peuvent pas avouer, ils ne peuvent pas accepter la réalité, que nous sommes la seule force combattant Daesh sur le terrain. Pour eux, peut-être, la coopération avec l’armée syrienne s’apparente à la reconnaissance de notre efficacité dans le combat contre Daesh. Cela fait partie de l’aveuglement obstiné de l’administration américaine, malheureusement.
Question :Il n’y a donc aucune sorte de coordination, même par le biais des Kurdes ? Car nous savons que les Etats-Unis travaillent avec les Kurdes, qui à leur tour, ont des contacts avec le gouvernement syrien. Alors, il n’y a même pas de coordination indirecte ?
Bachar el-Assad : Même pas une tierce partie, y compris l’Irak, même si par le passé avant de lancer leurs attaques, ils nous en ont prévenu à travers les Irakiens. Il n’y a pas eu de contact avec qui que ce soit depuis.
Question :D’accord, allons un peu plus loin. Vous avez vécu à l’Ouest et à un moment vous étiez assez proche de certains des leaders occidentaux, qui depuis le début de la crise, ont soutenu les groupements armés se battant dans le but de vous renverser. Mais il se peut qu’un jour vous ayez à travailler de nouveau avec ces mêmes dirigeants occidentaux et à leur serrer la main. Qu’en pensez-vous ? Serez-vous capable de retrouver la foi en ces individus ?
Bachar el-Assad : Tout d’abord il ne s’agit pas de relations personnelles. Il s’agit de relations entre Etats, et avec ce type de relations, on ne parle pas de foi, on parle de mécanisme. La foi est donc quelque chose de très personnel, vous ne pouvez pas en dépendre dans le cadre des relations politiques entre des individus. Ce que je veux dire c’est que je suis responsable de la vie de 23 millions de Syriens, et il s’agit de dizaines de millions pour les autres dirigeants dans leur pays. On ne peut pas confier le destin de ces dizaines de millions de personnes juste à une seule personne ou à deux personnes dans deux pays. Il faut qu’il existe un mécanisme.
Quand vous avez ce mécanisme, vous pouvez parler de la foi d’une autre manière, qui n’est pas personnelle. C’est la première chose. Après, la mission principale de chaque homme politique, de chaque gouvernement, de chaque président ou Premier ministre – peu importe le nom – est de servir son pays. Que ça me plaise ou non, je vais devoir faire toutes ces rencontres et serrer les mains de peu importe qui, tant que cela peut être utile au peuple syrien. Il ne s’agit donc pas de mon attitude personnelle, mais de la valeur ajoutée de telles entreprises. Et donc oui, nous sommes prêts à le faire si les intérêts des Syriens sont en jeu. Quoi qu’il en soit, je le ferai.
Question : En parlant des alliances dans la lutte contre le terrorisme et Daesh, le Président russe Vladimir Poutine a appelé à une alliance régionale pour combattre ce qu’on appelle l’Etat Islamique. Les visites récentes des officiels arabes à Moscou surviennent dans ce contexte. Mais le ministre des Affaires étrangères Walid al-Moallem a dit qu’il faudrait un miracle. Dans le cas où cela arrive, on parle ici de la coordination au niveau de la sécurité, comme décrit par Damas, avec les gouvernements de Jordanie, de la Turquie et de l’Arabie Saoudite. Comment voyez-vous ces alliances ? A votre avis, auront-elles un résultat ? Vous avez justement dit que toutes les alliances reposent sur des intérêts, donc, êtes-vous prêt à vous coordonner avec ces pays, et quelle est la vérité derrière les rendez-vous rapportés par les médias, tenus entre les syriens et peut-être des officiels saoudiens ?
Bachar el-Assad : Concernant la lutte contre le terrorisme, ce problème est vaste et global, et comprend des aspects culturels et économiques. Ce problème comporte aussi des aspects sécuritaires et militaires. En terme de prévention, tous les autres aspects sont plus importants que les aspects militaires et sécuritaires, mais aujourd’hui, et en réalité, on vit actuellement dans une période de combat contre le terrorisme, nous ne sommes pas confronté à des groupes terroristes, nous sommes confronté à des armées terroristes équipées avec des armes lourdes, moyennes et légères. Ils disposent de milliards de dollars pour recruter des nouveaux volontaires. Les aspects militaires et sécuritaires doivent devenir prioritaires à ce stade. Donc, on estime que cette alliance doit agir à différents niveaux, mais elle doit tout d’abord combattre sur le terrain.
Naturellement, cette alliance doit comprendre les Etats qui croient en la lutte contre le terrorisme, et qui croient que leur position naturelle est d’être contre le terrorisme. Dans l’état présent des choses, la personne qui soutient le terrorisme ne peut pas être la même qui combat le terrorisme. C’est ce que ces Etats font actuellement. L’Arabie Saoudite, la Turquie et la Jordanie qui prétendent faire partie de la coalition contre le terrorisme dans le Nord de la Syrie, soutiennent en réalité le terrorisme dans le Sud, dans le Nord et dans le Nord-Est, presque dans les mêmes régions où ils sont supposés le combattre. Encore une fois, j’aimerais souligner que si dans le cadre d’un intérêt global, ces Etats décident de revenir à une position plus juste, de revenir à la raison et de combattre le terrorisme, naturellement, nous accepterons et coopérerons avec eux et avec les autres. Nous n’avons pas de droit de véto et nous n’attachons pas d’importance à ce qui appartient au passé. Les politiques changent tout le temps. Ça peut changer du bien au mal, un allié peut devenir un adversaire, et inversement, un adversaire peut devenir un allié. C’est normal. Lorsqu’ils combattront contre le terrorisme, nous coopérerons avec eux.
Question :Monsieur le Président, on assiste aujourd’hui à un afflux colossal de réfugiés en Europe, qui viennent en grande partie de Syrie. Certains disent que ces gens sont perdus pour la Syrie puisqu’ils ne sont pas satisfaits du gouvernement syrien qui n’a pas pu les protéger, et qu’ils ont dû quitter leurs maisons. Que pensez-vous de ces gens ? Est-ce que vous les considérez comme une partie de l’électorat syrien dans l’avenir ? Croyez-vous qu’ils reviendront ? Et la deuxième question concerne le sentiment européen de culpabilité à propos de ces déplacements de population. Croyez-vous que l’Europe en est responsable ?
Bachar el-Assad : Chaque personne qui quitte la Syrie représente certainement une perte pour la Syrie, quelles que soient ses opinions ou ses capacités. Cela ne concerne pas, bien sûr, les terroristes. Ainsi cette émigration est pour nous une grande perte. Vous m’avez posé une question sur les élections. Les élections présidentielles ont eu lieu l’année dernière, alors qu’il y avait déjà de nombreux réfugiés dans différents pays, surtout au Liban. D’après la propagande occidentale, tous ces réfugiés ont fui le gouvernement syrien qui les aurait chassés et tués et ils ont été considérés comme des opposants. Quelle n’a pas été la surprise des occidentaux quand la majorité de ces réfugiés se sont rendus dans les bureaux de vote pour donner leur voix au président, celui qui soi-disant les tuerait. Ce fut un coup dur pour les instigateurs de cette propagande. Nous avions mis en place une organisation spéciale pour ce vote. Il devait y avoir des bureaux de vote dans chacune de nos ambassades et le gouvernement syrien contrôlait ce processus. Mais cela dépend des relations entre les États. Plusieurs pays ont rompu les relations diplomatiques avec la Syrie et fermé les ambassades syriennes. Par conséquent, les citoyens syriens n’ont pas pu voter dans ces pays. Ainsi, ils ont dû aller là où des bureaux de vote avaient été installés. C’est ce qui s’est passé l’année dernière.
Quant à l’Europe, il est sûr qu’elle est responsable. Aujourd’hui elle essaye de présenter la situation comme si sa faute se limitait au fait à qu’elle n’a pas donné assez d’argent ou su organiser l’immigration légale en Europe, à cause de quoi, plusieurs réfugiés venus via la mer Méditerranée ont péri noyés lors de leur voyage. Nous déplorons chaque victime innocente. Mais est-ce que la vie d’un réfugié noyé en mer est plus précieuse que celle d’une personne décédée en Syrie ? Pourquoi aurait-elle plus de valeur que celle d’un innocent décapité par les terroristes ? Comment peut-on s’affliger de la mort d’un enfant en mer et ignorer les milliers d’enfants, de vieillards, de femmes et d’hommes qui sont devenus les victimes des terroristes ? Ce principe européen du «deux poids, deux mesures» n’est plus acceptable. Cela ne fait aucun sens. Comment peut-on peut être attristé par la mort de certains et être indifférent au sort d’autres victimes ?
Ainsi, l’Europe a sa part de responsabilité pour avoir soutenu le terrorisme, sa meilleure couverture, ce qu’elle continue de faire. Elle qualifie les terroristes de «modérés» et les divise en groupes alors qu’ils sont tous des extrémistes.
Question : Si vous me le permettez, je voudrais revenir à la question sur l’avenir politique de la Syrie. Monsieur le Président, vos opposants, qu’ils soient ceux qui mènent une lutte armée contre les autorités ou vos adversaires politiques, insistent toujours sur le fait que l’une des conditions nécessaires à la paix dans le pays est votre départ de la vie politique et votre renoncement au poste de président de la république. Qu’en pensez-vous, non seulement en qualité de président, mais aussi, en tant que citoyen syrien ? Êtes-vous théoriquement prêt à accepter ces conditions si vous les jugez nécessaires ?
Bachar el-Assad : En plus de ce que vous dites, la propagande occidentale s’est fondée dès le départ sur l’idée que la cause du problème était le président. Pourquoi ? Parce qu’ils veulent faire croire que le problème de la Syrie réside dans un seul individu. Et par conséquent, la réaction naturelle de beaucoup de personnes est de dire : «Puisque le problème réside dans un seul individu, cet individu ne doit pas être plus important que la patrie tout entière. Donc, laissons partir cet individu et les choses vont s’améliorer». C’est ainsi que l’on simplifie les choses à l’extrême en Occident. Ce qui se passe en Syrie, à cet égard, est semblable à ce qui s’est passé dans le cas de la Russie. Notez ce qui a été dit par les médias occidentaux depuis le coup d’État en Ukraine. Que s’est-il passé ? Le président Poutine est passé du statut d’ami de l’Occident à celui d’ennemi et une fois encore on l’a dépeint comme un tsar. Il a été décrit comme un dictateur réprimant l’opposition en Russie et comme quelqu’un qui a obtenu le pouvoir par des moyens antidémocratiques, malgré le fait qu’il a été porté au pouvoir par une élection démocratique, ce que l’Occident a reconnu.
À présent, ils disent que ce n’est plus démocratique. C’est de la propagande occidentale. Ils disent que si le président part, les choses s’amélioreront. Qu’est-ce que cela veut dire en particulier ? Pour l’Occident, cela veut dire : «Tant que tu es là, nous allons continuer à soutenir le terrorisme», parce que l’objectif que poursuit actuellement l’Occident en Syrie, en Russie et dans d’autres pays, c’est le changement des présidents, le renversement des gouvernements ou, peu importe comment ils l’appellent, les changements de régimes. Pourquoi ? Parce qu’ils n’acceptent pas de partenaires et d’États indépendants. Quel est leur problème avec la Russie ? Quel est leur problème avec la Syrie ? Quel est leur problème avec l’Iran ? Ces pays sont tous des pays indépendants. Ils veulent qu’un certain individu parte et soit remplacé par quelqu’un qui agisse dans leurs intérêts et non dans l’intérêt de son pays. Pour nous, le président est choisi par le peuple et arrive au pouvoir au moyen d’une élection. Et s’il part, c’est sur une décision du peuple. Son départ ne doit pas être le résultat d’une décision américaine, d’une décision du Conseil de sécurité, d’une conférence de Genève ou d’un communiqué de Genève. Si le peuple veut qu’il reste, il doit rester et si le peuple le rejette, il doit partir immédiatement. Tel est le principe que j’observe lorsque j’appréhende cette question.
Question : Des opérations militaires sont menées ici depuis plus de quatre ans. A votre avis, y-a-t-il eu un moment décisif où il était clair que la guerre était inévitable ? Et qui a déclenché cette mécanique de guerre ? S’agit-il de l’influence de Washington ou de celle de vos voisins au Moyen-Orient ? Y-a-t-il eu des erreurs de votre part ? Avez-vous des regrets par rapport à certaines décisions ? Et si vous aviez la possibilité de remonter le temps, agiriez-vous différemment ?
Bachar el-Assad : Dans tous les États on fait des erreurs. On en fait peut-être tous les jours, mais ces erreurs ne sont pas critiques car l’État est toujours là. Alors, comment se fait-il que des erreurs de ce genre nous aient conduits à la situation que nous vivons actuellement en Syrie ? Cela n’a pas de sens. Cela peut vous paraitre étonnant si je dis que le moment clé pour les évènements en Syrie est, à la surprise de nombreuses personnes, la guerre en Irak de 2003. C’est quand les États-Unis ont envahi l’Irak. Nous étions fortement opposés à cette invasion, car nous savions que tout ça allait aboutir à la division des sociétés et à l’apparition de troubles. Or, nous sommes voisins de l’Irak.
A cette époque on comprenait que la guerre allait faire de l’Irak un foyer de conflits sectaires. A l’ouest de la Syrie, il y a un autre pays dans cette situation : le Liban. Et nous, nous sommes au milieu. Nous savions très bien que nous allions en subir les conséquences. C’est pourquoi le début de la crise syrienne et tout ce qui s’est passé alors est le résultat naturel de la guerre et du conflit confessionnel en Irak, parce qu’une partie du conflit s’est déplacée en Syrie. En conséquence il était facile d’influencer certains groupes syriens.
Le deuxième point – qui est peut-être moins critique – est le laisser-faire américain vis-à-vis des terroristes afghans dans les années 1980, qu’ils appelaient alors «combattants de la liberté», puis enfin, la création de Daesh en 2006 à l’aide de financements américains et sans aucune opposition de leur part.
Tous ces éléments rassemblés ont créé les conditions d’un soulèvement avec le soutien occidental et l’argent des pays du Golfe, en particulier du Qatar et de l’Arabie Saoudite, ainsi qu’avec l’aide logistique de la Turquie. En effet, Erdogan appartient, de par sa façon de penser, aux Frères Musulmans. Par conséquent, il croit qu’un changement de la situation en Syrie, en Egypte et en Irak, donnera naissance à un nouveau sultanat – pas le sultanat ottoman cette fois, mais celui des Frères Musulmans – qui couvrirait des territoires allant de l’océan Atlantique jusqu’à la Méditerranée et qui serait dirigé par Erdogan. Toutes ces choses mises ensemble nous ont conduits à la situation dans laquelle nous sommes en ce moment. Une fois de plus, je dis qu’il y a eu des erreurs, que les erreurs donnent toujours lieu à des failles et à des points faibles, mais cela n’est pas suffisant et ne justifie pas ce qui se passe actuellement. Et si ce genre d’erreurs est vraiment à l’origine de ces évènements, pourquoi les mêmes erreurs n’ont-elles pas mené à des révolutions dans les pays du Golfe, surtout en Arabie Saoudite qui ignore complétement la démocratie ? Je pense que la réponse est évidente.
Monsieur le président, merci de nous avoir consacré du temps et d’avoir donné des réponses détaillées à nos questions. Nous savons qu’au mois de septembre vous fêterez votre 50ème anniversaire. Peut-être que le meilleur vœu serait le retour à la paix et de la sécurité dans votre pays aussi vite que possible. Merci.
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